Plus cool tu meurs

D e la difficulté à déconnecter l’affectif du cérébral et à faire sauter les soupapes.

Noyé dans la pénombre, un homme au crâne dégarni et chaussé de lunettes regarde vers le ciel, tire sur sa cigarette, semble la savourer, puis la jette. Andy Wicks, la quarantaine, a testé sans succès quantité de méthodes pour arrêter de fumer. Poussé par son épouse, il s’apprête, pour sa énième tentative, à essayer l’hypnose, qui va le ramener à ses années lycée, en 1985.

Déjà récompensé pour ses premiers ouvrages, De mal en pis (Box Office Poison) et Derniers rappels (Tricked), à l’instar d’un Joe Matt ou d’un Daniel Clowes, mais sur d’autres registres, Alex Robinson aime à poser un regard naturel sur les êtres étriqués, en mal d’épanouissement et en proie au mal-être. Il le fait sans juger, avec beaucoup d’humanité, en relevant les circonstances atténuantes, et en positivant. Dans son dernier album, Plus cool tu meurs, il lie les difficultés à se débarrasser d’une addiction, en l’occurrence au tabac, l’hypnothérapie et l’adolescence.

L’émergence, dans la seconde moitié du XXème siècle, de pratiques utilisant l’hypnose à des fins thérapeutiques en a laissé plus d’un sceptique. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que, quelques soixante années plus tard, l’esprit très cartésien d’un informaticien manifeste des doutes vis à vis de l’efficacité d’une telle technique et développe des résistances. Andy veut bien se prêter au jeu, mais n’est pas convaincu. Le travail qu’il va devoir effectuer pour lever ses réticences et enfin se laisser aller en sera d’autant plus long et compliqué. Son cheminement lui réservera quelques surprises et lui procurera, lorsqu’il revivra une partie de sa jeunesse, des opportunités qu’il devra décider de saisir ou pas, tout en restant soumis à l’influence de ce qu’il est actuellement.

Si Alex Robinson se montre très ingénieux et non dépourvu d’humour dans le procédé qu’il adopte pour développer l’articulation entre la dépendance, l’hypnose et le passé, s’il fait preuve d’une belle capacité à provoquer des émotions très fortes lors de la phase de levée du traumatisme et de la libération finale, la partition qu’il livre sur les lycéens déçoit un peu. Le malaise de l’adolescent, ses rapports aux filles, aux interdits et à l’autorité qui brime, son désir d’être reconnu comme un individu responsable, capable de se débrouiller seul et de prendre les bonnes décisions, mais aussi d’exclure et de rejeter certains de ses congénères, c’est déjà vu et déjà lu, maintes fois. Et le découpage en chapitres, reprenant le titre d’une chanson des années 80 en prise avec le contenu à suivre, ainsi que la multiplication des références cinématographiques, s’ils situent bien l’époque et ont un impact plaisant, ne suffisent pas à faire vibrer sur le long terme. Ce n’est pas pour autant que ce passage soit inutile, il apporte à la compréhension et à la construction de l’histoire. Il aurait juste certainement gagné à être plus condensé, à être différemment imbriqué, ou à ménager plus d’effets de surprise. Il paraît trop « ordinaire » en regard des autres parties de l’ouvrage mais aussi des productions antérieures de l’auteur.

Excellent dans son introduction et dans sa conclusion, Plus cool tu meurs souffre, dans sa partie centrale, de quelques longueurs et d’un manque de dynamisme à relier à la linéarité du traitement et à la raréfaction des ruptures graphiques. Il n’en demeure pas moins, qu’une fois encore, en faisant partager le vécu d’une hypnose, Alex Robinson livre un album de grande qualité et qui, bien que tassé, mérite largement qu’en soient tirées plusieurs bouffées.

Moyenne des chroniqueurs
7.5