Les passagers du vent 6. La Petite Fille Bois-Caïman -…
1863. La guerre de sécession déchire les Etats-Unis. Les chemins ne sont plus sûrs, l'ennemi est partout, le deuil frappe les familles les unes après les autres. Pourtant, la jeune Isabeau Murrait - dite Zabo - imprégnée de la culture sudiste de la Nouvelle Orléans, se voit contrainte de faire route vers Bâton Rouge. Là-bas réside une aïeule de quatre-vingt dix-huit ans qui porte de le même nom qu'elle, mais qui a longtemps vécu sous le pseudonyme d'« Isa ». Tout sépare ces deux femmes de caractère, mais piquée par la curiosité, la fougueuse Zabo va se passionner pour le récit d'une très longue vie.
Vingt-cinq ans ont passé depuis le cinquième tome des Passagers du vent qui laissait le lecteur avec une Isa de dix-huit ans, prête à saisir tout ce que la vie pourrait lui apporter. Quatre-vingts ans séparent pourtant la femme de jadis de l'ancêtre d'aujourd'hui, la jeunesse s'incarnant dans sa descendante. Au lieu de reprendre le récit là où il l'avait arrêté, Bourgeon a préféré faire couler de l'eau sous les ponts et choisi de ne pas faciliter les retrouvailles du lecteur avec l'héroïne du passé. En utilisant un nouveau personnage principal, il nous balade dans la « Civil War » et peint le portrait d'un monde livré à lui-même.
Zabo apparaît par bien des côtés semblable à son aïeule : jeune, forte, au langage de charretier, la comparaison est facile. Ses idées concernant l'esclavage, qu'elle a connu toute sa vie et accepte comme une évidence, l'éloigne pourtant d'elle. Son voyage pour retrouver son homonyme peut paraître long tant il importe au lecteur de combler ces quatre-vingts ans d'aventure. Néanmoins, le trajet est assez long pour que la rencontre prenne tout son sens et soit à la hauteur de l'évènement. Il n'en fallait pas moins pour se plonger dans l'ambiance d'une époque singulière, tout en veillant à rester assez court pour permettre de revenir sur un passé bien lointain.
Pour donner corps à Zabo, Bourgeon a choisi de peindre d'après photo, ce qui est particulièrement visible sur certaines poses. Cette technique, qui aurait pu perdre en spontanéité, rend pourtant son dessin d'autant plus détaillé et expressif et les portraits qui en résultent sont magnifiques. La dynamique du récit n'est pas rompue et encore moins figée par ce choix. Par ailleurs, une majorité de personnages se parent de traits simples et moins intensément réalistes. Les décors, qu'il s'agisse de nuits dans le bayou ou de prairies verdoyantes sous le soleil, sont imposants et portent l'imagination sans effort vers ces lieux inconnus. L'ensemble est beau et authentique, l'évolution graphique de l'auteur au fil des ans servant au mieux cette suite tant attendue.
Si, durant la lecture, quelques détails surprennent, comme le franc-parler presque trop moderne de Zabo ou la longueur de son expédition pour retrouver Isa, ils sont bien vite éclipsés par le plaisir que procure le récit. Reprendre après aussi longtemps une série devenue culte était un pari risqué. Il a été relevé avec brio. Bourgeon prouve, en sachant toujours émerveiller le lecteur, qu'il reste un grand raconteur d'histoires.
A noter : Pour les amateurs qui n'auront pas peur de replonger dans leur archives ou... dans celle de leur voisin, signalons la présence d'une planche dans le numéro 239 de la revue "A suivre" (1997), jamais intégrée dans un album, qui annonçait certains éléments présents dans cet opus.
6.5