Capricorne 9. Le passage

O n peut dire, sans exagérer, que la sortie du tome 9 de la série Capricorne est un événement. Non seulement il apporte enfin des révélations décisives aux questions essaimées au fil des épisodes, mais il s’agit d’un album double !

Des deux séries qui occupent Andreas, « Capricorne » est sans doute la plus accessible. Tandis que « Arq », complexe et elliptique, est vouée à l’exploration d’un monde parallèle, « Capricorne », plus linéaire, prolonge la tradition du récit fantastique. L’action se situe à New York, à une époque qu’on place approximativement dans les années quarante. Au cœur de l’hiver arrive un homme énigmatique. Des vieilles femmes lui remettent les six « cartes du destin ». Très vite, il perd son identité et devient Capricorne. Le héros s’attache quelques amis indéfectibles mais aussi de redoutables ennemis, tels Mordor Gott, tandis que le récit se complexifie à mesure qu’il avance.

Quand commence Le Passage, Capricorne est juché en haut d’un dirigeable qui emmène à son bord les principaux responsables du « Concept », une organisation fasciste aux origines mystérieuses qui vient de prendre le contrôle de la planète. Notre héros, fer de lance d’un groupe de résistance, s’est donné pour mission de percer les secrets du Concept dont la fin, auto-programmée, semble toute proche…

Si le récit, depuis les débuts de la série, a connu par moment des baisses d’intensité ou bien a paru s’égarer parfois, beaucoup des fils de l’intrigue se nouent dans cet album. On ne peut en dire plus sans gâcher le plaisir de la lecture, mais ici, on retrouve intact tout ce qui fait l’attrait de cette histoire exceptionnelle.

On peut ne pas apprécier, dans le trait d’Andreas, l’allure un peu froide et figée qu’il confère aux personnages. Mais son dessin demeure spectaculaire. Sa perception particulière de l’espace l’amène à rechercher les points de vue les plus étonnants : la vue aérienne de New York, l’architecture d’un immeuble montrée en contre-plongée, … chez lui le dessin relève du tour de force, de l’exploit technique, mais sans tomber dans l’effet facile. Car ce dessin vient appuyer un découpage savant et original auquel il est intimement lié. Après l’espace, c’est le temps qui subit un traitement spécifique : par la répétition d’images, la décomposition d’un mouvement, le recours à des incrustations, ou par des cases mises en parallèle, l’auteur parvient à restituer des phénomènes qui échapperaient à notre perception.

Cette narration particulière n’est pas gratuite. Au contraire, elle est au service des grandes questions qui sont au cœur du travail d’Andreas. Derrière les exploits d’un héros déjouant les plans de « grands méchants » il y a cet homme en quête de son identité, qui accomplit son destin. Son opposition à Gott, ce double maléfique, rappelle aussi la dualité de l’âme. Le réveil de mythes ancestraux enfin, resitue notre civilisation occidentale dans la perspective d’une grande Histoire universelle.

Si « Capricorne » nous fascine, c’est pour tout cela : la jonction dans une série des ingrédients habituels du fantastique qui en font l’intérêt et le charme, avec les préoccupations spirituelles et artistiques d’un artiste hors du commun. Mais qu’on se rassure, la quête n’est pas finie, il reste suffisamment de cartes dans le destin de Capricorne pour nous procurer encore beaucoup de plaisir.