Faire semblant les jours d'orage

C omme tous les jours ou presque, Mike et JP battent le pavé au pied de la cité. Comme tous les jours ou presque, le premier est pris à partie par une bande du quartier, le second vient l’aider. Marre de cette vie, marre de ce quotidien où les seules alternatives consistent à subir ou à sortir les poings. Cogner, JP sait faire, rapport à ce qu’il a pris et donne dans les relations tumultueuses qu’il entretient avec son beau-père, mais ce n’est pas le lot de Mike, encore capable d’espérer et d’imaginer que l’existence puisse être différente, ailleurs…

Déjà connu pour ses talents d’humoriste, Le cri de l’autruche, Le fond du bocal, Nicolas Poupon se révèle être un très bon conteur, voire emberlificoteur de choix. Dans Faire semblant les jours d’orage il entraîne son lecteur, l’air de rien, avec douceur et grande habileté, dans une chronique sociale en « faire-semblant » où se mélangent télé réalité, problèmes de communication, poids du contexte, mais aussi retour aux sources relationnelles et environnementales, le tout bien emballé sur un fond de cavale.

Banlieue qui étouffe, désœuvrement qui pèse, dérapage crédible, l’univers est plausible. Il est introduit avec un style de narration d’excellente qualité. De la mère, totalement ou presque phagocytée par le feuilleton télé et immergée au point de sembler ne pas pouvoir se détacher de la fiction, à Basile, adepte du mouvement Baba-cool, en passant par Mike et JP, les jeunes adultes qui portent les stigmates internes de leurs difficultés, les personnages sont très bien campés. Une sorte de fausse réalité subtile est perceptible chez chacun d’eux. Le découpage en chapitres à l’aide d’images et de dialogues tirés du roman télévisé, qui font le point sur ce qui vient de se passer dans le périple vécu par les deux banlieusards est à la fois original et astucieux. Les coups de crayon se relâchent ou se durcissent et les couleurs se délayent ou s’assombrissent au diapason des protagonistes, qui se détendent ou se crispent.

L’auteur est maître d'œuvre à bord. C’est lui le conteur d’histoire et il entend bien mener le lecteur où il veut. C’est d’ailleurs ce qu’il fait. Les premières planches font plutôt envisager un récit dur, axé sur les rapports de force qui régissent la vie dans la cité, le gain ou la défense d’un territoire, les relations entre dominants et dominés, les clans. Mais la vie dans le quartier ne sert que de matière à introduire une tout autre trame, celle d’une renaissance, d’une confrontation aux choses simples qui permettent de réveiller les sens, de rebâtir du lien, de se sentir à nouveau vivre, (à nouveau libre ?). Celle de la construction d’une belle amitié … bâtie sur une mystification. Certains seront sans doute déconcertés par le tournant pris par le propos. Il n’en demeure pas moins que, au-delà du petit flottement perceptible lors de l’introduction du personnage de Basile, l'ouvrage est une réussite.

Faire semblant les jours d’orage est une fable contemporaine qui se veut porteuse d’espoir plus que de moralité et qui livre un message empreint d’humanité. Pour peu que le lecteur accepte de se laisser porter jusqu’au bout du récit, il ne fait aucun doute qu’il tirera un réel plaisir à s’être fait embobiner.


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