La route de la soie en lambeaux

T ed Rall, chroniqueur radio, journaliste et dessinateur, entreprend de sillonner les pays d’Asie centrale, livrés à eux-mêmes depuis l’effondrement de l’Union soviétique. Corruption, famine, misère, terrorisme, dictatures et assassinats sont monnaie courante dans les « Stans » (comprendre les pays finissant en « stan » comme le Tadjikistan, le Tatarstan ou l’Ouzbékistan) mais n’entachent en rien la fascination et l’obsession qu’éprouve l’auteur pour ces régions extrêmes. C’est au cours de ces différentes expéditions, sur l’ancienne route de la soie où chaque poste de contrôle devient un « problema » et peut se révéler fatal pour un Américain, qu’il constitue un témoignage unique, alternant articles, photos et bandes dessinées, à mi-chemin entre le carnet de route et l’autobiographie.

Il faut revenir dans les années 90 pour tenter de comprendre la situation géopolitique de ces régions méconnues, voire inconnues des Occidentaux. C’est à cette période que l’URSS autorise les partis politiques. Ce bouleversement est l’occasion pour les peuples de différentes nationalités, de différentes confessions religieuses, jusqu’à présent tenus sous le joug communiste, d’aspirer à leur indépendance et d’aiguiser l’appétit des despotes locaux, souvent d’anciens dirigeants du parti. Ces pays étant principalement constitués de territoires ethniques, cette ouverture crée finalement de véritables poudrières. L’intervention des Etats-Unis après le 11 septembre 2001 ne fera que déstabiliser encore un peu plus l’échiquier politique, remplaçant des pouvoirs totalitaires par des fanatiques dont Saddam Hussein n’eut rien à envier. C’est dans ce contexte de troubles que Ted Rall entreprend un travail d’investigation et d’analyse, et organise des treks à haut risque, entraînant avec lui de petits groupes de touristes en quête de sensations fortes, pour partager les diarrhées aiguës, les risques d’enlèvement, d’accident de bus, de racket et d’exécution sommaire... tout un programme !

L’auteur a choisi une approche humoristique (et il faut en avoir, de l'humour, pour survivre aux épreuves rencontrées), ce qui permet au lecteur de prendre un certain recul sur les événements tragiques relatés et évite au récit déjà très dense, de tomber dans la caricature du livre d’histoire-géo. Il propose pour chaque expédition une présentation historique et géographique des pays traversés, sous forme de textes agrémentés de photos puis relate par de courtes bandes dessinées évocatrices, au trait caricatural, les anecdotes et faits marquants de ses voyages.
Retraçant une dizaine d’années d’aventures et de multiples voyages, la construction du livre souffre parfois de problèmes de cohérence, hésitant entre déroulement chronologique et présentation géographique, ce qui provoque quelques répétitions et autres confusions qui alourdissent la lecture. C’est l’un des rares reproches qui peuvent être faits à cette œuvre.

La route de la soie en lambeaux est un témoignage passionnant et éclairant sur une région du monde totalement ignorée des médias. L’Asie centrale devrait malheureusement apparaitre régulièrement à la une de l'actualité : étant une des dernières réserves d’énergies fossiles non exploitées, son instabilité politique risque de concurrencer assez facilement son activité sismique.

Moyenne des chroniqueurs
8.0