Le gardien du Feu 1. Goulven
E
n 1876, au large de la Pointe du Raz, le phare de Gorlébella balaie de son feu l'horizon. A l'intérieur, son gardien Goulven Denès, ancien marin, écrit à son ingénieur les circonstances qui l'ont poussé à se retrouver aujourd'hui une arme à portée de main. Quelques étages au-dessous, des hurlements retentissent à travers une porte fermée à clé. Tout avait pourtant bien commencé. Lui, l'austère Léonard, avait conquis le cœur de la belle et pétillante Adèle Lazenec puis s'était vu offrir une évolution de carrière plus qu'inespérée au sein de la société des Phares Bretons. Comment s'est-il retrouvé dans cet enfer ? Pourquoi diable les choses ont-elles pris cette tournure ? C'est ce que va tenter d'éclaircir Goulven en faisant appel à ses souvenirs.
Après Le sang de la sirène, François Debois et Sandro s'associent de nouveau dans ce diptyque pour adapter un roman de l'écrivain breton Anatole Le Braz. Même si le suspense s’effiloche au fil des pages - le lecteur devine très tôt ce qui se trame sur le rocher de Gorlébella -, l’intrigue ne perd rien de son rythme grâce à la construction du récit alliant confession et souvenirs. Confession d’une tragédie pleine de fureur à l’image des déferlantes s’abattant avec rage sur le phare de la Vieille, et souvenirs d’une vie à deux, pleine de promesses malgré son cortège de disputes. Du Paradis à l’Enfer, il n’y a qu’un pas ! Goulven va l’apprendre à ses dépens. Au cœur de ses pensées les plus noires, la créature et son maître, prisonniers de la roche. Jamais nommés explicitement, le mystère qui les entoure laisse planer le doute. Affaire de possession ou simple histoire de vengeance ? Le voile se lève peu à peu. De plus, l’atmosphère sombre et angoissante reste présente jusqu’à la toute dernière page.
Le nombre de personnages présents dans cette histoire étant faible, la psychologie de chaque protagoniste est remarquablement travaillée. Les origines de chacun sont à maintes reprises mises en avant. De ce fait, cet album tend par bien des côtés vers la chronique sociale. En effet, fils de paysans du Léon, Goulven est décrit comme austère et puritain alors que son épouse, Adèle, est une trégorroise vive et insouciante. Ce contraste social va peu à peu changer les choses pour le meilleur mais surtout pour le pire.
Force est de constater qu’entre scénario et graphisme s’établit une belle harmonie. Les illustrations du phare sur son rocher en pleine tempête au large du Cap Sizun sont spectaculaires et apportent une ambiance des plus menaçantes, en parfaite osmose avec les évènements tragiques qui s’y déroulent. A terre, les décors bretons tels la baie des Trépassées, valent eux aussi le coup d’œil. Le coloriste Joël Mouclier alterne judicieusement les coloris en fonction du climat ténébreux ou heureux. Une belle réussite !
Situé en mer d'Iroise, ce premier volet de l’adaptation du roman Le gardien du feu - paru pour la première fois en 1900 - est un très bon huis-clos psychologique qui met en appétit en attendant son dénouement final.
8.0