Mes affinités sélectives

L orsque la façade d’un immeuble en cours de démolition s’effondre dans le quartier fourmillant d’une ville asiatique, plusieurs personnes se retrouvent prisonnières de l’enceinte d’un restaurant. Parmi elles, ni stressée, ni surprise, Claire reste impassible. Elle a déjà vécu l’événement. Elle ressuscite tous les ans, la veille de l’éboulement …

Illustrateur d’Effleurés, publié en janvier chez Dargaud et nominé aux BDGest’Arts dans la catégorie Premier album, Sylvain Limousi, alias Sylvain Saulne, endosse le rôle de scénariste pour Mes affinités sélectives.

L’histoire qu’il dévoile ici est déroutante et dérangeante. Teintée de fantastique, elle décortique, dans un quasi huis clos, le jeu des influences psychologiques, relationnelles et culturelles auxquelles sont soumis des individus isolés qui, sous le feu d’un conflit armé, luttent pour leur survie. Elle met à nu les faiblesses humaines dans ce qu’elles ont d’abject, en laissant toutefois une place au libre arbitre et au pouvoir de décision.

Si le thème de la résurrection incessante, déjà porté à l’écran par Harold Ramis dans Un jour sans fin, séduit de prime abord, il ne semble pas exploité de manière optimale. En effet, il s’avère très vite que le personnage de Claire, intrigant et surprenant, se contente d'annoncer les séquences à venir et de rappeler, en guise de fil rouge, des questions d’ordre métaphysique. L’homme est-il acteur de son destin ? La composition d’un groupe de personnes vivant un même événement peut-elle influencer l’issue de ce dernier ? L’épilogue étant rapidement dévoilé, les quelques phases d’action auxquelles la jeune femme prend part ne suffisent pas à relancer le suspens. À mesure que le scénario perd de sa saveur, il faut se contenter de simples faits de guerre alors que c'est justement le côté irrationnel qui suscitait l'intérêt. Ce constat est d'autant plus décevant que la lecture se fait moins fluide dès lors que le découpage adopté par l’auteur ne permet pas de distinguer aisément les différentes unités de temps.

Si le scénario chagrine, il n’en va pas de même du traitement graphique. Le style sous influence manga de Sylvain Saulne, déjà identifiable avec ses nez larges et proéminents, ses traits aux trajectoires hésitantes qui se jouent des perspectives, restitue bien le contexte asiatique. Les illustrations de Caroline Rezo, sur les murs, produisent un effet des plus heureux. Elles agissent en résonance avec le dessin, le relevant ou le complétant, induisant un sens à des déplacements, renforçant ou suspendant les émotions. Il s’établit une sorte de dialogue subtil entre le fond et le détail des cases, que la mise en couleur de Caroline Gillet sert à merveille.

À parcourir pour le plaisir des yeux, Mes affinités sélectives marque également grâce à la sensation surréaliste qui en émane.

Moyenne des chroniqueurs
6.0