Aux heures impaires

B astien est malentendant et vit relativement mal sa condition. Alors qu'il attend au Musée du Louvre son rendez-vous pour un stage que lui a trouvé sa compagne, il fait la connaissance d'un étrange gardien nommé Fu Zhi Ha. Ce dernier, atteint du même handicap que lui, va offrir au jeune homme une visite des plus étranges. En effet, la nuit, durant les heures impaires, le surveillant libère les œuvres d'art de leur condition figée par un rituel précis. Cette découverte révolutionne le petit monde de Bastien. Aurait-il enfin trouvé sa place ?

L'idée de mettre en scène une personne ayant des problèmes auditifs permet aux autres sens de prendre une importance particulière dans l'histoire. Au travers des yeux de ce héros, les grands classiques et les pièces les plus oubliées du Louvre prennent vie dans des ambiances magiques. En dépit du fait qu'elle contribue à la surcharge de certaines cases, qui perdent ainsi en esthétisme, l'utilisation du langage des signes en accompagnement du dialogue permet d'autant mieux de rentrer dans l'univers de Bastien. Tout le cœur qu'il met dans ses gestes, y compris pour traduire la colère, est bien rendue par la déformation des phylactères qui accompagnent les paroles muettes. Ce jeune homme en colère aurait pu être attachant mais l'ampathie du lecteur peine à se développer, le rendant ainsi pur spectateur, peu impliqué dans l'initiation aux heures impaires. Le pauvre héros paraît persécuté de toute part, ses capacités et talents restant inconnus et dénigrés, donnant ainsi à sa vie une tournure mélodramatique quelque peu exagérée.

Le dessin ne peut être mentionné sans les couleurs qui l'accompagnent. Alternativement dans des tons bleutés et orangés, elles permettent de mettre en valeur à la fois la triste réalité que subit Bastien et la luminosité lors du retour à la vie des ouvrages. L'auteur réussit également à mettre en relief une brillance éclatante qui accompagne le rite d'éveil, matérialisant l'âme des tableaux et autres sculptures tout en en donnant une à son livre.
Le trait est quant à lui précis et détaillé. L'intégration des œuvres du Louvre est habilement menée, permettant à la fois leur intégration délicate au style de l'auteur ainsi que leur mise en valeur. Les lieux du musée sont fortement reconnaissables, Liberge s'étant attaché à être le plus fidèle possible à la réalité.

Plus loin que la simple histoire de quête d'identité du héros ou de commande du Louvre, Aux Heures Impaires sert de prétexte pour critiquer le consumérisme artistique. Le questionnement du véritable amateur d'Art face à celui qui pense que l'art se monnaie et se possède sans chercher l'âme de ce qu'il observe. Le consommateur possesseur, le consommateur sans réflexion, chacun en prend pour son grade au fil des pages. Cependant, il ressort comme impression que seul l'initié peut prétendre accéder à la véritable nature de l'Art, le simple visiteur apparaissant comme irrespectueux et abruti. Certes, ce portrait tranche avec l'innocence de Bastien, mais le lecteur peut se sentir agressé devant la vision que l'auteur semble lui réserver.

Au final, Aux Heures Impaires est une oeuvre intéressante et qui trouve bien sa place dans la collection dédiée au grand Musée du Louvre. L'originalité du scénario est quelque peu ternie par le manque d'émotion transmise au lecteur mais le dessin et les ambiances rendues par les couleurs sont absolument magnifiques, autorisant la clémence à propos de quelques point moins convaincants tant le spectacle offert à nos yeux est époustouflant. Le petit dossier sur l'histoire de la surveillance dans le musée clôt l'album de belle façon.

Lire également l'Interview d'Eric Liberge

Moyenne des chroniqueurs
5.8