Sillage 11. Monde flottant

N ävis mène une vie de paria depuis qu'elle a été déchue de ses fonctions à la suite son procès. Désormais, elle ne travaille plus pour la Constituante, cette dernière usant de tous les moyens dont elle dispose pour nuire à la jeune fille et l'empêcher de mener une existence normale. Le salut viendra de son avocat qui, sous couvert d'un reportage de presse, lui confie une nouvelle mission sur une planète en proie à une guerre civile entre pro-Sillage et anti-Sillage. Son objectif est de sauver son ami Bobo, qui a pris parti pour l'un des deux camps.

Déjà onze ! Ce nouvel album des aventures de Nävis témoigne de la bonne santé de cette série sortie de l'imagination fertile de Jean-David Morvan et illustrée par Philippe Buchet. Au fil du temps, Sillage s'est installée comme référence dans l'univers de la science-Fiction, grâce à des histoires s'adressant à un large public et bénéficiant d'un double niveau de lecture : les plus jeunes aiment les aventures mouvementées de cette terrienne, dernier spécimen de son espèce, tandis que les autres y apprécient sa dimension politique en arrière-plan. Morvan s'appuie sur son époque et sur les événements géopolitiques actuels pour décrire les situations périlleuses de son héroïne. Ce double constat n'est pas sans rappeler les aventures de deux agents spatio-temporels, Valérian et Laureline, qui, il y a quelques années, faisaient figure de référence du genre en évoluant dans un univers basé sur le même principe. Dénoncer les injustices, combattre les différences, lutter contre toute forme de totalitarisme, autant de causes défendues par ces héros et leurs auteurs. Cette comparaison peut paraître flatteuse, elle est pourtant loin d'être usurpée, car elle est amplement méritée, comme en témoignent les nombreux prix reçus par les précédents albums et le plébiscite du public.

Un des aspects importants de Sillage concerne l'évolution de son personnage principal. Au fil des albums, le lecteur voit cette jeune fille sauvage et impétueuse se transformer en une femme solide, intelligente, gagnant en maturité à chaque nouvelle expérience. L'une des forces de la série réside dans ce changement : l'auteur vieillit, et son héroïne avec lui. Les centres d'intérêt du premier deviennent ceux de la seconde, et c'est particulièrement vrai dans ce nouvel opus. Jean-David Morvan s'est passionné pour le Japon et cet engouement manifeste se retrouve dans le scénario de Monde Flottant. Nävis débarque sur une planète en proie à un conflit semblable à celui qu'à connu le pays du Soleil Levant dans la deuxième partie du XIXe siècle, pendant laquelle l'ère moderne s'est installée, écrasant le système féodal et les traditions ancestrales. Le Dernier Samouraï, d'Edward Zwick, retrace, à la manière hollywoodienne, cette transition brutale où l'Empereur, sous la pression des occidentaux, a piétiné des siècles d'histoire symbolisés par les samouraïs.

Monde Flottant
est intéressant, car Nävis, plus que dans les albums précédents, se trouve confrontée à elle-même, à ce qu'elle est et surtout à ce qu'elle n'est pas. Elle va se laisser transporter par cette planète où la vie traditionnelle paraît si simple. Elle y apprendra la patience et l'humilité, des qualités qui sont loin de faire partie de sa personnalité. Comme souvent, elle prend parti pour les plus faibles, les opprimés, suivant toujours ses convictions. Ici, elle va combattre aux côtés des anti-Sillage, tenants de la tradition. A travers ce récit, Jean-David Morvan invite le lecteur à le suivre dans la passion qu'il éprouve pour le Japon, passion que l'on retrouve dans : Sept Yakuzas. Comme à l'accoutumée, l'action et l'humour sont bien présentes, particulièrement lorsque la jeune fille se voit contrainte de renoncer à son franc-parler. Cet arrière-plan très documenté est l'occasion pour Nävis de s'interroger sur son comportement impulsif, sur sa manière d'appréhender les événements. L'évolution est manifeste et donne une profondeur supplémentaire au récit. La réussite de cette nouvelle aventure repose également sur le talent de Philippe Buchet, qui a su adapter avec force détails ce Japon du XIXe siècle à l'esprit de science-fiction qui habite la série. Sa gestion des couleurs est habile et à chaque partie correspond une ambiance propre : plutôt vives pour les scènes se déroulant sur Sillage, plus sombres et dans des tonalités bordeaux pour les combats, ou plus douces lorsque la belle héroïne se trouve confrontée à son statut de femme.

Monde Flottant est une réussite dans une série qui ne connaît que peu de fausses notes. Plus que dans les tomes précédents, l'arrière-plan revêt ici une importance particulière, car directement ancré dans l'Histoire. L'autre aspect à retenir est l'évolution manifeste de Nävis, toujours en proie aux questions sur sa personnalité. Elle commence, enfin, à entrevoir des réponses, et cherche à se construire, elle qui n'est pas totalement une guerrière, ni totalement une femme.