Smart Monkey

Ça commence comme un documentaire animalier : le décor est celui d’une forêt luxuriante où nous observons la vie d’un groupe de primates en train de s’épouiller tranquillement quand soudain, semblant sortir tout droit d’un dessin animé, un petit singe marrant à la dégaine improbable entre en scène. Smart Monkey, c’est lui.

Comme il s’est acquis un peu trop imprudemment les faveurs d’une belle guenon, il se voit chassé sans vergogne du clan par le mâle dominant. Nous suivons alors l’âpre combat quotidien qu’il livre pour sa survie, entre courses-poursuites haletantes et quête incessante d’un bon repas. L’histoire aurait pu s’accommoder de ce postulat mais, passées une dizaine de pages, nous comprenons tout à coup que le récit se déroule… aux temps préhistoriques. C’est tout l’ouvrage qui se trouve ainsi éclairé d’un jour nouveau, car il se pourrait bien que nous nous trouvions ici à l’aube de l’humanité.

Fer de lance du collectif Les Requins marteaux, rédacteur en chef de la revue Ferraille Illustré, Winshluss est considéré depuis quelques années comme une des valeurs montantes de la bande dessinée francophone. Avec Smart Monkey, il prend définitivement place parmi les « grands ».

Car cet album est d’abord un tour de force narratif : c’est une bande dessinée totalement muette (à l’exception de l’épilogue) mais dont les pages sont toutes emplies du bruit et de la fureur qui résonnent en ces temps reculés. On déguste en gourmet ces planches en noir et blanc où l’auteur dévoile un véritable art du récit, que ce soit par son sens du rythme et du cadrage ou par son don pour la construction du gag visuel. Narrateur hors pair, mais aussi dessinateur exceptionnel : un trait expressif et rapide, fouillé mais pas fouillis. Winshluss s’accorde aussi quelques grandes compositions en pleine page dans lesquelles il fait montre de ses talents d’illustrateur.

Notons également que Smart Monkey renoue avec une veine peu exploitée en bande dessinée et qui avait été ouverte par Franquin dans l’excellent Nids des Marsupilami, cette sorte de « reportage fictif ». Le running gag créé autour du tigre aux dents de sabre en est un écho évident. Enfin, la chute du récit puis sa conclusion dialoguée confèrent rétrospectivement à l’ensemble une portée symbolique qu’il ne serait pas vain de méditer !

Bref, c’est la lecture de l’été pour tous ceux qui aiment la b.d. intelligente, efficace et distrayante, mais aussi, pour ceux qui veulent découvrir en quoi nous sommes tous redevable envers ce petit singe si malin...