De Gaulle à la plage

J uin 1956. Le capitaine Lebornec, aide de camp du général de Gaulle, chargé de recueillir les mémoires du grand homme durant les vacances que ce dernier s’est octroyées en famille sur les plages bretonnes, fait l’inventaire du contenu du cabas qu’il transporte. L’attirail semble complet : thermos, protection solaire, de quoi écrire, des tongs … Des quoi ? « Des tongs mon Général ! »…

D’emblée, le ton est donné et la magie opère. Des premiers bruits sur le sable au retour au pouvoir, les gags s’enchaînent, sur demi-planches, sans discontinuer. Truffé de références – appel du 18 juin, prix Nobel de Churchill, Wehrmacht, descendant direct du chien-loup d’Hitler, réellement offert à l’épouse du Général et rebaptisé pour l’occasion...- De Gaulle à la plage ne se veut pas historique, politique ou satirique. Il n'est jamais grinçant, juste caricatural.

Pour produire les effets recherchés, Jean-Yves Ferri emprunte plusieurs voies. Il s’appuie tout d’abord sur le décalage, la distance et la prestance que dégagent de façon naturelle les mensurations de l’homme. Comme quand, du haut de sa grande taille, De Gaulle assène un « avancez voyons, puisque je vous dis que nous avons pied » à Lebronec, piètre nageur, au bord de la noyade, ou lorsque le général poursuit route et conversation sur un air détaché, le chien Wehrmacht restant suspendu au bâton qu’il voulait lui lancer.

Il joue, ensuite, sur la simplicité et la crédibilité des situations et des dialogues. Si plusieurs historiens se sont attachés à rapporter et à analyser les actes politiques du Général, l’existence d’ouvrages relatant le déroulement d’échappées balnéaires reste soumise à vérification. Pourtant, nombreux seront ceux qui reconnaîtront « le Grand Charles » sous les traits dessinés par l’auteur et penseront plausibles, tant ils paraissent naturels, l’emballement dans les interventions orales de l’ancien homme d’Etat, sa sensibilité aux formes avenantes des belles jeunes femmes, les piques lancées et la surveillance rapprochée exercée par son épouse, la nature des relations qu’il entretient avec son fils Philippe ou avec l’ancien Premier ministre anglais, la facilité avec laquelle il gère certaines situations.

Il utilise, enfin, l’humour premier degré et ménage, avec subtilité, des chutes à des scènes burlesques qui provoquent l’hilarité.
L’aspect fin du graphisme, allié aux tons pastel de la mise en couleur renforcent la sensation de simplicité, y ajoutent une touche de douceur, de sensibilité, de poésie et complètent le zest de nostalgie que confèrent le dos toilé ainsi que le quatrième plat à l’ouvrage, créant par là-même une harmonie d’ensemble.

Un album drôle, très réussi, frais et sain, fait d’un mélange d’humour premier degré et de poésie, qui démontre que charmer, faire sourire et rire à partir d’un homme d’Etat, sans médire, relève du possible.