Pico Bogue 1. La vie et moi

I l y a Pico, Ana Ana , papa, maman, papic et mamite, soit une famille comme bien d’autres, en somme. Mais pour de vrai, pas tout à fait…

Petit rouquin à la tignasse ébouriffée, Pico Bogue partage son temps entre l’école, ses deux copains, sa petite sœur et ses parents. Doté d’un sens aigu de la répartie, il possède l’art de retourner toute sorte de situations à son avantage. Rien ne le démonte et il ne perd jamais la face. Il peut aussi bien se dédire que renvoyer les adultes à leurs propres contradictions sans que cela lui procure le moindre état d’âme. Son œil est aiguisé, sa logique implacable. Le caractère de sa soeur, Ana Ana, est de la même trempe. A la fois déconcertant, émouvant, énervant, amusant et épuisant pour les parents, les grands parents, les enseignants …

Voilà pour ce qui constitue le décor des soixante et onze historiettes qui s’étalent le plus souvent sur l’espace d’une demi-page et mettent en scène autant de gags et de tranches de vie. Le décor seulement, car Pico Bogue ne peut se résumer à une simple restitution des facéties des jeunes enfants. Certes les attitudes et les situations, la maladresse de certaines réflexions, le coté à la fois candide et effronté respirent le vrai et le vécu mais ils s’inscrivent en décalage avec le niveau de réflexion, de maturité et de vocabulaire supposé être celui d'un enfant de cet âge.

Et c’est bien là que se situe la singularité de cet ouvrage. Dominique Roques, la scénariste, pose son regard d’adulte sur les tribulations des bambins, investit les lieux, les détourne parfois, et réécrit certains dialogues ou chutes sur un mode "sénior". Il en ressort une impression semblable à celle que l’on pourrait éprouver en regardant un film muet sous-titré dont la teneur du texte serait en discordance avec l’image.
Ceci étant, le contenu ne se limite pas à une simple succession d’effets. Il se dégage de la façon dont les adultes gèrent les séquences une sorte d’état d’esprit qui pourrait tenir lieu de principe sur le plan éducatif : il est important de laisser du temps et de l’espace pour que jeunesse se passe.

Le dessin d’Alexis Dormal soutient parfaitement le contraste. Il s’applique à caler les apparences sur le monde enfantin. Tout d’abord au moyen d’un trait brouillé, griffonné ou imprécis, une colorisation inachevée, qui restituent à merveille le coté un peu émoustillé, frondeur et effervescent. Ensuite par le rendu miniature, le choix des situations et la justesse des attitudes. Enfin, l’utilisation de la peinture directe et le choix des couleurs confèrent au graphisme un aspect empreint de poésie et de tendresse qui convient bien.

Vraie histoire de famille du coté des auteurs (la maman est au scénario et le fils aux pinceaux) Pico Bogue pourrait être appréhendé comme une pièce de théâtre humoristique au décor en trompe-l’œil. Si la qualité des multiples sketches proposés dans La vie et moi est de facture inégale l’ensemble retient l’attention grâce à la singularité de son traitement et aux qualités graphiques déjà très affirmées. Une plongée rafraîchissante dans le monde détourné des enfants.


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