Donjon Monsters 1. Jean-Jean la Terreur

D ans une auberge isolée en pleine forêt de Terra Amata, cinq aubergistes se lamentent : les clients se font rares. Et donc, il commence à faire faim. D'autant que cette auberge est pis qu'espagnole : on n'y mange pas ce qu'on y apporte, mais ceux qui y viennent. Mais voici qu’un singulier voyageur se présente, occupé à bavarder avec son épée… Un fou ? Non : Guillaume de la Cour, nouveau porteur de la légendaire épée du Destin.

Jean-Jean la terreur, huitième album de la saga Donjon, inaugure l’extension Donjon Monsters, dont la vocation première était de « raconter une grande aventure d’un personnage secondaire du Donjon » ; le fameux quart d’heure de célébrité prophétisé par Andy Warhol. En apparence, il s’agit ici de montrer la genèse de Jean et Jean, un ou plutôt deux employés du Donjon aussi inoffensifs que bizarres – ils ressemblent à deux demi-patates, chacune disposant de deux jambes, mais seulement un bras, un œil et une oreille. Dans les faits, l’album permet surtout d’introduire un des personnages les plus marquants de la saga, un oiseau nommé Guillaume de la Cour. Roublard, baratineur, cupide, procédurier, arnaqueur, menteur, d’une fourberie à toute épreuve mais incroyablement inventif quand il s’agit de défendre ses intérêts, De la Cour est « nul à la bagarre », mais redoutable par sa force de persuasion et son infernale radinerie. Depuis Iznogoud, on avait rarement vu un méchant aussi plaisant ; De la cour reviendra de façon récurrente tourmenter le gardien et ses accolytes.

Deux innovations sont apportées par l'extension Monsters : tout d’abord, le fait de confier l’univers Donjon, le temps d’un album, à un dessinateur invité. A Mazan succèderont Menu, Andreas, Vermot-Desroches, Yoann, Blanquet, Blutch, Carlos Nine, Killoffer, Bézian, Stanislas et Kéramidas. La seconde innovation consiste à accompagner les trois époques principales avec des intrigues intermédiaires, qui révèlent ce qu’il se passe à différents moments de la saga, sans avoir à attendre que Potron-minet, Zénith et Crépuscule aient suffisamment progressé. On se souvient en effet que la numérotation des albums, qui court d’un tome -99 à des volumes portant des numéros supérieurs à 100, suggère un potentiel d’au moins deux cents chapitres. Jean-Jean la terreur est estampillé niveau -4, c’est-à-dire que l’action se déroule un peu avant Cœur de canard, avant que la capricieuse épée du Destin ne soit récupérée par Herbert.

Plus qu’aucun autre tome de la série, Jean-Jean la terreur met en scène des personnages empruntés à notre monde : Guillaume de la Cour, Mourad le pirate et Yvette. Point n’est besoin d’une immersion très spécifique dans la bande dessinée pour comprendre l’allusion très directe aux éditeurs Guy Delcourt et Mourad Boudjellal (fondateur des éditions Soleil) dans les deux premiers personnages. En revanche, le nom Yvette nécessite quelques explications : il s’agit d’un hommage à une authentique Yvette, collectionneuse et chasseuse de dédicaces jugée particulièrement, disons, attachante par les auteurs, qui l’ont représentée sous forme d’une créature tentaculaire (attachante, donc). Cette précision n’est pas indispensable à la compréhension de l’album, mais il est amusant de constater que Trondheim et Sfar ont, dans la même aventure, donné vie à leur éditeur et à une de leurs fans les plus assidues.

Doté d'un humour gentiment corrosif, cet album peut être lu tout à fait indépendamment du reste de la série. Les Donjonphiles retiendront peut-être surtout que cet album révèle la teneur des pouvoirs spéciaux de l'épée du destin.



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Une brève histoire de Donjon

Interviews
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Chroniques sur BDGest :
- Donjon Zénith, tome1 : Coeur de Canard
- Donjon Crépuscule, tome 1 : Le cimetière des dragons
- Donjon Potron-Minet, tome 1 : La chemise de la nuit
- Donjon Parade, tome 1 : Un donjon de trop
- Donjon Monsters, tome 1 : Jean-jean la terreur