Johan et Pirlouit (Intégrale) 1. Page du Roy
I
l fut un temps où Johan et Pirlouit était l’une des séries phares du journal Spirou, l’incarnation de la bande dessinée d’aventure médiévale. Une vingtaine d’années plus tard, ce nom évoquait surtout le générique entêtant d’un dessin animé qui suppléait parfois les Schtroumpfs dans l’incontournable « Club Dorothée ». Et parmi la génération suivante, c’est-à-dire les jeunes lecteurs d’aujourd’hui, qui connaît vraiment ces héros qui ont fait le bonheur de leurs grand-parents ?
Allez, les jeunes : laissez tomber quelques instants vos mangas et autres blondinets au pouvoir absolu, et emparez-vous de cette belle intégrale qui vous permettra de discuter BD avec Papy. Sautez les premières pages : cette riche présentation agrémentée d’anecdotes et d’inédits réveillera quelques bons souvenirs chez les premiers fans, mais risque fort de vous assommer avant même de découvrir les débuts de la série favorite de Peyo, qu’il avait été contraint d’abandonner devant le succès des Schtroumpfs. Et si vous décidez quand même de les lire, soyez indulgents : le coup de crayon est déjà épatant mais les scénarios sont pour le moins simplistes pour les premiers essais de Peyo parus dans la presse. Allez, on zappe et on passe au cœur du sujet : les trois premières histoires, publiées ici dans leur forme originale.
Dès le premier tome de la série, Le Châtiment de Basenhau, paru en 1954, les progrès sont fulgurants. Peyo montre déjà une belle maîtrise du rythme et de l’humour : l’intrigue, pourtant bien mince et bon enfant, est avalée sans souci. Le graphisme est d’emblée très abouti, épuré et coloré de façon très simple : désuet sans doute, mais lisible. Le maître de Roucybeuf, deuxième opus, s’avère plus élaboré, construit comme une enquête policière avec les quelques rebondissements d’usage. Désormais Johan est plus un jeune adulte qu’un adolescent malin, ce qui lui permet de rivaliser avec des adversaires plus coriaces (mais néanmoins bien bêtes, ce qui excuse sans doute leur méchanceté). Là encore, difficile de soutenir la comparaison avec les parutions actuelles, mêmes celles destinées aux plus jeunes, mais la qualité d’écriture enlève toute tentation de reposer prématurément le livre. La curiosité l’emporte et c'est tant mieux car on parvient alors au fameux Lutin du Bois aux Roches, c’est-à-dire le tome qui voit l’apparition de Pirlouit. Il faut lire cette histoire pour comprendre ce qui manque véritablement aux deux premières. En l’occurrence, un trublion, malin et irrévérencieux, farceur et généreux, accompagné qui plus est d’une improbable chèvre au sale caractère. Pirlouit crève les planches et se rend aussi indispensable qu’un capitaine Haddock ou un Obelix. A tel point que lui aura droit à son nom dans le titre de la série, suprême consécration…
L’apparition du petit comparse de Johan, en plus d’apporter un souffle comique nouveau, permet également à Peyo de densifier l’intrigue et d’améliorer encore le rythme. De fait, ce troisième tome se montre beaucoup plus abouti et pourrait cette fois séduire véritablement nos chères têtes blondes. Le conditionnel reste néanmoins de mise : en matière de réalisme, d’aventure et de densité d’intrigue, cette série peine à rivaliser avec les albums actuels, malgré toute l’intelligence de son auteur. Les 13 tomes que Dupuis compte remettre à l’honneur dans cette très belle présentation sont donc bien plus destinés aux lecteurs de l’époque, nostalgiques d’une autre façon de raconter les histoires qui n ‘a plus cours aujourd’hui. Et s’ils tombent par hasard entre les mains de leurs petits-enfants, qui sait, au pire, ça pourrait bien leur plaire !
6.8