Les villes d'un jour

R udy n’est jamais allé à l’école. Il habite partout et nulle part. Une de ses amies est une femelle orang-outang et il connaît également un boucher-magicien. Mais qui est donc ce Rudy âgé de seulement huit ans et dont le parcours est si particulier ? Et bien, Rudy vit tout simplement dans le cirque où travaillent ses parents. Avec la caravane, il parcourt les routes de France et observe le monde qui l’entoure.

Ce one-shot est composé de plusieurs historiettes qui ont toutes pour toile de fond ce cadre original et sympathique qu’est le cirque. L’auteur, Rudy Spiessert, n’en est pas à son coup d’essai puisqu'en tant que dessinateur, il avait déjà présenté une certaine vision de notre société (Comme tout le monde) et nous avait aussi entraîné dans les aventures d’un viking non-violent (Ingmar Ingmar). Ce titre est néanmoins le premier projet qu'il mène de A à Z et il change de registre en ouvrant sa boîte à souvenirs de jeunesse. Ce n’est bien sûr pas la première fois qu’une BD aborde l’enfance. Récemment, Chaque chose de Neel ou Ma maman est en Amérique, elle a rencontré Buffalo Bill de Bravo et Régnault l'ont fait. Le récit de Spiessert est en partie autobiographique puisque l’auteur a lui-même vécu dans un cirque jusqu’à ses douze ans. Pour un gamin c’est un monde extraordinaire peuplé d'animaux, de clowns et autres saltimbanques. Certes, c’est un univers qui fait rêver et apporte du bonheur aux gens mais l’auteur montre également l’autre côté du miroir, c'est à dire la vie quotidienne non seulement des artistes une fois qu’ils ont rangé leurs habits de lumière mais également tous les métiers de l’ombre sans qui le monde du cirque n'existerait pas. Et de découvrir, entre autres : le flêcheur, les pistards et un chef monteur haut en couleur dont le seul prénom est déjà tout un programme, Eusice. Bref, le ton est donné : nostalgique, dans le bon sens du terme, mais également humoristique, le tout dans un contexte tout ce qu’il y a de plus réel.

A côté de la vie sous le chapiteau proprement dite, celle de tous les jours est aussi présente. Au travers son quotidien, il devient évident que le jeune garçon de huit ans un peu naïf a déjà un sens aigu des priorités : des devoirs auxquels il veut échapper le plus vite possible afin d'aller s’amuser, des premières amours contrariées par une bête histoire de chevaux. Derrière ces anecdotes amusantes, l’auteur aborde des thèmes plus sérieux tels que la mort, la dictature dans les pays de l’est… mais vu à travers les yeux d’un môme donc de manière détournée et atténuée. Ce prisme scénaristique évite de plomber l’histoire et permet d’assurer un équilibre entre une certaine légèreté et des thématiques plus graves.

Pour ce qui est du dessin, la patte de l’auteur est facilement reconnaissable avec quelques fantaisies au niveau de la mise en page. Il est possible de remarquer une certaine approche cinématographique comme par exemple des gros plans incrustés de pseudo titres. Certaines cases sont présentées sous forme d’affiches, notamment à la fin de chaque partie avec un aspect un peu suranné, voire kitsch, mais qui colle complètement à l’atmosphère nostalgique.

Au final, cette BD est une bonne surprise. Elle ne tombe pas dans la mièvrerie, ni ne cherche à mettre en valeur son propre vécu. L’enfant qui sommeille au fond de chaque lecteur ne peut être que conquis et ressortir de cette lecture avec quelques étoiles dans les yeux.

Moyenne des chroniqueurs
6.8