Un voyage

H uit ans durant lesquels il s'est remis à y croire, à aimer, à faire de nouveaux projets, et un diagnostic aux allures de sentence tombe : espérance de vie de trois semaines à un mois. C’était une rémission, pas une guérison. Comment admettre que c’est bientôt fini, quand ce que l’on ressent nous rattache au vivant ? Que faire du temps qu’il reste ? Un voyage, il optera pour un dernier voyage.

Associés pour un troisième album, Eric Lambé et Philippe de Piermont invitent le lecteur à partager les ressentis de Michel, leucémique, condamné et principal protagoniste du récit.

Pas de dialogue, peu d’action, juste une pensée qui erre, qui cherche et se souvient, juste un corps qui perçoit, des sens qui captent les détails hier encore anodins et amplifient leur résonnance. La narration, lente, se fait également porteuse de la prégnance métaphysique, regrets qui n’en sont pas vraiment, tentation du suicide, besoin de clarifier des situations du passé qui encombrent la mémoire et de donner du sens à leur déroulement. La succession des formes qui souvent se répètent, celle des contours qui se fondent, se confondent, s'entremêlent et se déforment exacerbent l’impression diffuse d’un état vaporeux sinon comateux. Résidus de mémoire visuelle et témoins du changement de portée du regard, les détails du quotidien sont grossis. La pâleur des couleurs amplifie les sensations.

La confusion qui émane de la lecture peut trouver du sens dans le désir de partager celle de l’esprit du personnage principal, l’aspect commun et très terre à terre du vocabulaire employé reste cohérent pour un individu perdu et assommé. Pourtant, l’album manque trop de relief et sa lisibilité ne tombe pas sous le sens. Les enchaînements de quelques séquences concernant Babette et le chien comme les scènes de l’agression sur le parking et de la blessure avec le cric étaient-ils totalement indispensables ? La présence de ces deux dernières a-t-elle pour but de précipiter la fin, de la détourner, ou de renforcer le coté dramatique d’une situation qui l’est pourtant déjà suffisamment ?
Le sujet est difficile. Le traiter en réduisant à ce point les dialogues relevait du défi. Louable mais périlleux. L'immersion dans cette tranche de fin de vie risque de demander au commun des lecteurs des efforts qu'il consentira s'il est conquis dès l'entame du livre. Dans le cas contraire, il risque de tourner les pages par curiosité (notamment pour voir ce que le traitement graphique lui réserve) plus que par passion, sans se sentir tout à fait concerné.

Moyenne des chroniqueurs
4.0