Dômu - Rêves d'enfants Rêves d'enfants

E n 1981, un an avant qu'il ne commence Akira, un livre qui fera office de baffe en pleine face pour beaucoup d'occidentaux, Katsuhiro Otomo dessina un polar fantastique à l'atmosphère étrange, oppressante: Dômu.

Comme pour beaucoup de polars, il est facile de résumer l'intrigue: plusieurs suicides étranges se produisent dans un ensemble d'immeubles, et la police tente de trouver le fin mot de l'histoire. L'important dans un policier n'est pas l'intrigue mais les ambiances que l'auteur distille, sa maîtrise du suspens et des techniques de narration qui le feront parvenir à son but. Un exercice de style, difficile et périlleux, dont l'auteur sortira grandi ou ridicule. Otomo en sort grand, très grand.

Ici, point de suspens sur l'identité de celui qui tire les ficelles, elle nous est révélée dès la 44e page. Ces 44 premières pages introduisent les personnages et installent, une atmosphère ,dérangeante sous des dehors apparemment banals.A cette fameuse page 44 un tournant s'opère alors, et l'histoire vire au fantastique...

Le festival Otomo peut commencer. Le récit gagne lentement en intensité, le rythme s'accélère doucement mais sûrement, et à mesure que la folie s'installe, les pages dégagent une impression d'oppression de plus en plus palpable. Otomo s'amuse: son histoire est servie par des cadrages surprenants, efficaces et spectaculaires, (ses nombreux gros plans de visages effrayés notamment, qui contribuent fortement à l'ambiance du récit, ou ses scènes récurrentes en plongée , soulignant l'isolement, qu'il soit physique ou moral, des personnages...). Le découpage est nerveux, incisif, alternant scènes au rythme ultra-rapide et double-pages d'une seule case, comme autant d'aérations nécessaires pour reprendre son souffle.

Otomo possède le talent de brosser des méchants remarquables, autant sur le plan graphique que moral. Dômu ne déroge pas à la règle et l'apparition du personnage en question est un passage marquant du récit, à la fois tranquille et plein de tension, ridicule et inquiétant. D'ailleurs paradoxalement Otomo en fait plus tard un élément humoristique, le révélateur d'un personnage autrement dangereux...

Primé en 1983 au Japon (meilleur album SF, ce qui est surprenant puisqu'il s'agit d'un livre fantastique teinté de polar), Dômu se révèle largement à la hauteur des espérances du lecteur.Otomo nous emmène dans un monde réaliste et violent, banalise l'incroyable pour mieux nous y faire croire et nous laisse haletants et comblés par son talent.