La mère des victoires

A moureux de sa supérieure hiérarchique, le capitaine Raikuro fait pourtant passer cette idylle au second plan au profit de sa carrière. Quelques années plus tard, devenu un héros de la guerre retransmise en direct à la télévision, il est pressenti pour commander le « mère des victoires », le dernier fleuron des machines de l’armée. Mais il se fait griller la politesse par le fils de son ex-conquête, qu’il n’a pas vraiment oubliée…

Ce one-shot entièrement réalisé par un jeune auteur espagnol est étonnant à plus d’un titre. De la couverture à la présentation, des décors aux personnages, tout le range dans la catégorie « science-fiction guerrière ». Et pourtant les premières planches montrent les deux protagonistes principaux au lit, heureux puis en pleine dispute conjugale. Cette scène préfigure l’ensemble du contenu : la guerre n’est qu’un décor, le cœur de l’histoire est la relation amoureuse orageuse de Raikuro et de sa commandante. L’environnement est certes très étudié, apportant un contexte convaincant : le mélange guerre-marketing-télé réalité, certes déjà vu, fonctionne, les machines et les situations ne manquent pas d’inventivité. Pourtant, Fernandez insiste sur le caractère superficiel de tout cet ensemble en ne montrant jamais l’ennemi, et en dépeignant des personnages secondaires insignifiants. A l’exception du second de Raikuro, le nécessaire confident de toute bluette.

En plus de ce côté fleur bleue, Fernandez ajoute un ingrédient essentiel qui fait de La mère des victoires une sorte de « comédie romantique en BD » : l’humour. Ses personnages ont un caractère bien trempé, très « latin », qui est le principal ressort comique de l’album. Ce côté léger s’accorde parfaitement avec le trait très « cartoon » de l’auteur, qui excelle dans la représentation de la colère. Sans être hilarant, l’album prête facilement à sourire et, démontrant à nouveau un sens étonnant de la narration, Fernandez n’en rajoute pas et change de registre à la page suivante.

Cette capacité à enchaîner sans temps mort des scènes d’humour, d’action, de séduction est caractéristique de l’album, mais c’est sans doute aussi son point faible. Protéiforme, l’auteur joue également avec différentes techniques narratives (flash-back, reportage tv…) et même sur des colorisations qui s’adaptent au contexte. A-t-il voulu montrer tout son savoir-faire dans ce premier scénario ? Sans doute, et il faut lui reconnaître de belles capacités dans tous les domaines. Mais cet album manque d’épaisseur : à force de vouloir tout explorer, il n’a pas eu le temps d’approfondir ni la thématique anticipation, ni la relation amoureuse, ni le concept de machines futuristes (au point qu’on se demande pourquoi un tel titre a été choisi). On ne s’ennuie jamais, mais à peine a-t-on le temps de se prendre d’affection pour les personnages, qu’un final –assez quelconque- déboule. De ce point de vue, le choix du format one-shot est regrettable car tous les ingrédients étaient réunis ici pour réaliser une belle série. A défaut de réussir un grand album, il aura en tout cas donné envie qu’on le suive désormais de très près.