La gueule du loup

P artagé entre sa fille pré-adolescente qu’il prend en charge une semaine sur deux et son cabinet de gynécologie, François Renard mène une vie bien rangée qui lui sied parfaitement jusqu’au jour où débarque son ex-maîtresse qui le presse de l’accompagner à une soirée. A priori pas emballé mais ayant conservé de très bonnes relations avec cette ancienne conquête, il s’exécute et se retrouve à participer à une séance de speed dating. Amateur de poker, il se défait peu à peu du costume d’homme strict dont son entourage l’affuble, se prend au jeu et s’enhardit. Arrive la dernière rotation. Lléna, une belle brune qui ne le laisse pas indifférent, lui pose une seule question : « jusqu’où iriez-vous par amour ?» Joueur, François relève le défi et répond « jusqu’au bout ». Commence alors une série d’épreuves imposées par Lléna qui placent le praticien dans des situations de plus en plus extravagantes. Jacky Mousselin, présent à la soirée du Love club, bluffeur impénitent, chômeur qui vit avec une ribambelle de chiens, et Jacques Emmanuel Bouvet, propriétaire d’un relais de chasse, aux mœurs particulières, entrent dans la partie.

Dans La gueule du loup, Tronchet développe son intrigue à la manière d’une pièce de théâtre et porte, comme à son habitude, un regard acéré sur les déviances de notre société. Il épingle ainsi les pratiques licencieuses d’une frange de notables qui, au prétexte de mettre un peu de « fantaisie » dans la vie sexuelle, consomme des immigrées comme elle absorbe les amuse-gueule dans une soirée mondaine et n’accorde pas plus d’importance à l’être humain qu’à la pitance. Il pointe l’existence de filières très organisées qui arrivent à convaincre des femmes des pays de l’Est de passer les frontières pour mieux les prendre ensuite au piège de la prostitution. Il écorne l’image du Pays des droits de l’homme qui place les sans- papiers en situation de ne plus pouvoir avoir confiance en rien ni personne. Il met enfin en garde – mais faut-il là vraiment le croire !!! - les hommes du Cantal sur l’incompatibilité qui existe entre une coutume de leur département et les mœurs des natives de la Drôme.

D’entrée, le ton est vif, le rythme enlevé, l’humour omniprésent et truculent. Les situations s’enchaînent, relevées de dialogues percutants et aux accents naturels. Les conversations qu’échange François avec sa fille sur la base d’un cours d’éducation sexuelle ou le discours que tient Jacky à ses chiens pour leur expliquer que, s’il ramène une femme à la maison, ça ne veut pas dire qu’il se détache d’eux, sont parfaitement crédibles et leur lecture provoque une véritable jubilation. Le coté manipulateur d'une Lléna qui tire les fils de l'histoire est savamment rendu. Les informations, distillées au compte-gouttes, préservent le suspens et attisent la curiosité. Le tout dans le premier tiers de l'album. Parce qu'ensuite, le récit devient beaucoup plus lent, les situations moins cocasses et les liaisons entre les scènes souvent plus hasardeuses.

Le trait est épais et expressif, les visages à géométrie variable, tantôt carrés, tantôt anguleux ou rondouillards. Les cadres, souvent rapprochés, donnent au lecteur l’impression d’être un témoin privilégié. Grâce à une utilisation subtile des couleurs qui va jusqu’au découpage de certaines planches pour les rendre encore plus lisibles, Hubert clarifie les lieux, les espaces, le temps et permet d’identifier rapidement le registre dans lequel l’action se déroule : le rose, jusqu’au bonbon, pour ce qui se rapporte au sexe, les tons beige/orangé pour tout ce qui a trait à la vie de François, le bleu pour ce qui se déroule en extérieur …

Un album qui démarre tambour battant mais qui, passé le premier acte, perd rapidement en rythme et en originalité.