Des Rivières sur les Ponts

B elgrade, janvier 1997. Ivan, Milos et Ana sont de jeunes étudiants qui s'opposent au régime autoritaire de Milosevic. Deux ans plus tard, ces même personnages ne savent plus quel camp soutenir dans un pays victimes des bombardements aveugles de l'OTAN.

Comment juger de la valeur d'un témoignage de l'histoire récente quand celui-ci est dépourvu de toute analyse scientifique ? Voilà le défi majeur auquel est confronté le lecteur du très beau (graphiquement) album de Zoran Penevski et Goran Josic. En effet, comment devons-nous, lecteurs occidentaux qui étions du côté des "gentils" défenseurs de la paix, recevoir ce message d'auteurs serbes quand ceux-ci nous dévoilent les conditions de vie effroyables des populations bombardées par l'OTAN ?
Doit-on réviser radicalement notre vision des évènements au Kosovo et condamner définitivement l'ingérence internationale qui fit tomber le dictateur Milosevic ?

Non, bien entendu. Ce livre est avant-tout une façon de raconter "une" vérité, ou plutôt une histoire basée sur un ensembles d'expériences individuelles. L'élément principal de l'album est la détresse des victimes civiles d'un conflit. Le lecteur doit donc constament avoir en tête le déséquilibre flagrant entre l'omniprésence des sentiments et l'absence quasi complète de toute réflexion politique. Outre une narration cahotique, qui correspond d'ailleurs parfaitement à la situation des personnages, on peut s'étonner du ton partisan de l'album.

Ainsi, il est véritablement regrettable que les auteurs aient fait l'impasse totale sur les causes même du conflit. Milosevic est présenté comme un oppresseur de son peuple, mais à aucun moment les auteurs n'ont daigné aborder les évènements au Kosovo. Pire : l'action de l'OTAN (dont on se doute qu'elle n'a pas été parfaite) est détournée et sa condamnation sans appel justifiée par le témoignage plus que douteux d'un "occidental". Comment peut-on considérer comme crédible les propos de Jan Kounen ? C'est comme si on demandait à Besson de porter un jugement sur le Rwanda ou à Lou Doyon d'avoir un avis sur la politique économique du FMI. Laissons ces gens dans la médiocrité cinéphile dans laquelle ils exultent et cherchons de véritables analyses des évènements de l'ex-yougoslavie.

Pour autant, même si le fond de l'album manque de crédibilité politique, la forme n'en est pas moins excellente. Il y a des pages véritablement poignantes, Goran Josic étant capable d'illustrer avec un grand talent les douleurs personnelles, les colères ou la peur. Dans un contexte ou une vision différente, "Des rivières sous les ponts" aurait été un véritable bijoux.

Moyenne des chroniqueurs
6.0