Pietrolino 1. Le clown frappeur

L 'histoire de Pietrolino fut écrite il y a une dizaine d'années par Alejandro Jodorowsky à la demande de Marcel Marceau, dont il fut le partenaire de tournée dans les années 50. Faute de financement pour la porter sur scène, le projet de spectacle fut annulé et le manuscrit finit dans les tiroirs de Bruno Lecigne, éditeur aux Humanoïdes Associés. Les années s'écoulèrent, le texte s'égara mais restait en mémoire de l'homme qui en parla à Olivier Boiscommun, très intéressé par une adaptation. L'accord de Jodorowsky et la réapparition du précieux document accélérèrent alors la collaboration entre ces deux figures de la BD.

L'histoire, contée par Simio, compagnon de route de Pietrolino, débute sous l'occupation nazie, à Paris. Pour survivre, les deux hommes, accompagnés à contrecoeur de la provocante Colombella, se produisent dans des cafés. Le mime laisse alors tout son talent s'exprimer au travers de ses mains pour faire oublier aux clients la grisaille de ces années de plomb. Ce jour-là, le clou du spectacle, une métaphore mimée de la résistance contre l'Allemagne d'Hitler qui voit la victoire des Alliés, est interrompu par l'irruption de soldats allemands...

Une fois n'est pas coutume, le scénariste quitte la science-fiction qui l'a rendu célèbre pour un drame réaliste empreint de poésie. Malgré un contexte historique lourd et la détresse évidente du personnage principal, le ton du récit n'est pas pour autant dénué de légèreté grâce aux différentes scènes mimées. La voix off de Simio, qui nous accompagne tout au long de l'album, devient d'ailleurs vite indispensable et éclaircit avec délicatesse l'état d'esprit de son compagnon et l'illusion provoquée par la valse de ses mains. Si les ellipses de temps entre les différents évènements majeurs de la vie de Pietrolino hachent le rythme de l'ensemble et frustrent quelque peu le lecteur, celui-ci ne pourra s'empêcher de frémir d'émotion ou réagir face à l'injustice au fil des pages.

Tout a déjà été dit sur le trait typique de Boiscommun. Ici plus réaliste, il conserve toutefois une poésie qui lui est propre. La représentation du mime Marceau, sous les traits de Pietrolino, se révèle d'ailleurs très juste. Le corps est longiligne et élastique, le costume, dépouillé et l'extrême expressivité du visage réunit la candeur et la mélancolie d'un homme fragilisé par la vie. Le dessinateur arrive avec brio à passer outre le silence qu'impose le pantomime et à susciter autant, si ce n'est plus d'émotions qu'avec des mots. Bien que le rythme du récit impose un nombre limité de décors, ceux-ci laissent entrevoir une fidèle interprétation du Paris de l'époque. Enfin, les teintes des couleurs directes varient au fil du récit. Froides sous l'occupation, elles se réchauffent à la Libération, mais c'est le rouge, aux multiples symboles (le théâtre, l'amour et la mutilation), qui ponctue toute la vie de Pietrolino.

Disparu trop tôt pour voir enfin se réaliser ce projet, le mime Marceau se voit offrir un bel hommage à découvrir.