XIII 18. La version irlandaise
V
ingt–trois ans après avoir abandonné un grand tatoué sur une plage, gravement blessé et amnésique, après l’avoir baladé d’un bout à l’autre des deux Amériques en quête de son identité - tribulations qui ont d’ailleurs fait pas mal de victimes collatérales - Jean Van Hamme livre enfin toutes les réponses. Histoire de conclure de façon spectaculaire, il s’offre d’ailleurs une sortie en grande pompe, avec la parution non pas d’un mais de deux tomes simultanément, dont l’un crée l’événement car il est dessiné par le créateur de Blueberry, Jean Giraud.
Cela faisait longtemps que la parution d’un XIII n’avait pas fait autant de bruit. Après une ouverture époustouflante conclue en apothéose au cinquième tome, la série a progressivement décliné, jusqu’à produire des albums assez quelconques qui se contentaient de prolonger l'exploitation du filon initial. Outre l’attrait forcément particulier accordé à ce Dernier Round, celui des révélations tant attendues, la rencontre de deux géants, Van Hamme et Giraud, ranime la flamme et éclipserait presque la question centrale, celle de l’identité du n° XIII.
La version irlandaise est donc venu s’intercaler avec pour objectif de remplir les blancs, finalement conséquents en dépit des innombrables flash-back qui avaient jusqu’alors émaillé les différents épisodes. Le scénario de cette aventure qui se déroule entièrement avant l’amnésie est dense et s’intègre bien dans l’histoire déjà connue, comme si ce bougre de Van Hamme avait planifié tout ça depuis longtemps. Quelques planches ayant judicieusement filtré à l'avance, l’évidence s’était déjà imposée à tous : ce XIII jeune a de faux airs de Blueberry. Quoique… s’agit-il bien du même homme ? Comme toujours, Van Hamme balade le lecteur et réserve une ultime surprise. Alors que Giraud était attendu au tournant, c’est d’ailleurs le scénariste qui tire son épingle du jeu, avec un album bien plus intéressant que tous ceux qu’il avait écrits depuis bien longtemps pour cette série. En revanche, le spécialiste de l’Ouest Sauvage est plus à la peine dans cet univers contemporain. Ne pouvant ni utiliser son imaginaire moebiusien, ni placer les héros sur des chevaux au milieu du Colorado, il rend une copie convenable mais qui soutient mal la comparaison avec Vance. Un regret pour les fans du « maître », mais qui ne pénalisera pas outre mesure la lecture. Dans un registre similaire, l’expérience avortée du même Vance sur Marshall Blueberry s’était avérée plus convaincante, même si tout le monde voyait alors du… XIII dans Blueberry !
Après cet "extra" plutôt copieux, Le Dernier Round manquera un peu de saveur. Ce dix-neuvième tome annoncé un peu partout comme le dernier a de sacrés airs de rangement du bureau avant de goûter aux joies de la retraite. Ne distillant que peu d’action, Van Hamme prend le soin de refermer tous les tiroirs ouverts pendant 23 ans, expédiant certains dossiers encombrants, s’attardant avec délectation sur les meilleurs (la relation XIII / Jones). Peu de révélations forcément, puisque c’est l’album dessiné par Giraud qui se charge de cette partie. Que reste-t-il donc ? Une sorte de long pot de départ, auquel le ténébreux MacLane / Fly / Mullway / Rowland etc. a invité tout le personnel (du moins les survivants) et même ses collègues les moins fréquentables. Une cérémonie pompeuse agrémentée d’une pseudo-commission d’enquête qui ranime le douloureux souvenir du Jugement, l'insupportable tome 12 qui avait sérieusement égratigné l’image de la série. Une référence heureusement hors d’atteinte en matière de ratage mais parfois effleurée ici, comme dans cette revue d’effectif qui permet de liquider les grains de sable potentiels et de caser tous les héros dans une sorte de happy-end mièvre et presque parodique, le sort de XIII n’étant pas le moins grotesque.
Dans la petite compétition à distance que se livrent Vance et Giraud, le premier sort donc vainqueur, bien avantagé d’ailleurs par les couleurs de Petra. Celles de Claire Champeval, comme dans le dernier Blueberry, ont une fâcheuse tendance à faire ressortir les arrière-plans peu détaillés du dessinateur. L’équilibre est cependant rétabli grâce au scénario, plus abouti sur La version irlandaise.
Un album « hommage » par un géant de la BD et un épilogue en forme de générique de fin, Jean Van Hamme s’offre une sortie très "paillettes", le marketing prenant le relais d'un scénario qui s'est depuis longtemps essoufflé. La boucle est enfin bouclée ! Et ce n’est pas ce final qui fera changer d’avis les ultras qui considèrent que la série aurait dû s’arrêter au cinquième voire au huitième épisode. A défaut d’amener un vrai plus, ces coups de projecteur réguliers auront au moins eu le mérite d'élargir le champ des amateurs et de conforter XIII dans un statut rare, celui de monument incontournable de la bande dessinée.
6.4