Zoo 3. Tome 3
T
reize ans...c'est ce qui sépare le premier tome de Zoo du troisième et dernier... Treize ans d'attente pour connaître la fin de l'histoire d'un groupe hors du commun : cette attente fut longue mais le résultat est au rendez-vous !
Si cette chronique porte essentiellement sur le tome 3, il est impossible de dissocier cet album des autres. L'histoire forme un tout et ce n'est qu'à la fin que l'on a une vue d'ensemble de cette quête de soi qu'est Zoo .
A priori, les lecteurs ont imaginé que Manon était le personnage central au vu de son succès lors des séances de dédicaces ou du nombre d'objets para-BD associés. Erreur ! L'histoire est en fait centrée sur le personnage d'Anna et sa reconstruction, sa renaissance... c'est beaucoup plus évident dans ce dernier volume.
Le premier album relatait l'histoire d'Anna et son arrivée au zoo. Le deuxième racontait la vie du zoo et l'approche de la guerre. Le troisième se concentre sur le voyage d'Anna à la recherche de Célestin dont ils étaient sans nouvelles. On retrouve un parallèle avec son histoire russe, sa fuite, sa déchéance et sa rencontre avec les gitans. Ici, sa "balade" se fait sur les champs de bataille où elle inspire le respect à toute personne qui la rencontre. Tout son être est consacré à la recherche de son ami et à sa réhabilitation en tant qu'être humain. Elle s'est choisi une quête et fait tout pour la réussir. Elle va au bout d'elle-même. Inutile de préciser que le voyage sera rude.
Ce dernier chapitre montre aussi quelques scènes du passé, l'arrivée de Manon au zoo, sa rencontre avec Buggy, des scènes qu'on aimerait retrouver plus tard dans un album "complémentaire", le sujet s'y prêtant si bien. En revanche, le personnage de Buggy est laissé de côté... Dommage, mais il aurait fallu un tome de plus...
La question principale était : cela valait-il la peine d'attendre si longtemps ?
La réponse est oui, sans hésitation.
On y trouve peu d'action, il s'agit d'un album introspectif, la voix "off" raconte sans cesse la légende du Petit Père et nous permet ainsi de faire le parallèle entre cette légende et la vie d'Anna. Cela pourra déconcerter le lecteur car il n'est pas construit autour de faits exceptionnels, il n'y a pas de grosse surprise, c'est la façon de le raconter qui l'emporte : peu de dialogues mais le dessin de Frank est suffisamment expressif pour s'en passer. Il faut lire cet album en s'imprégnant de l'histoire et sans être dérangé : ce n'est qu'à ce prix qu'on en retirera le plus de satisfaction, pour ne pas dire d'émotion.
Le style de dessin de Frank a évolué : les visages des personnages semblent avoir une autre texture. A rester si longtemps sans dessiner ses personnages, ce changement était inévitable et ne se révèle pas génant, le résultat étant au-dessus de tout reproche. En relisant les trois volumes, comment ne pas être frappé par l'utilisation de la couleur et de la lumière chez Frank ? Des cases lumineuses où l'on voit Manon, éternellement positive, aux cases sombres consacrées à Buggy et à son atelier en passant par le ton gris des scènes sur les champs de bataille. Même sans texte, l'histoire dessinée se suffit à elle-même mais ce serait faire injure au talent de Bonifay qui a concocté un petit bijou de sensibilité, avec peu de phrases mais des mots justes qui touchent et émeuvent le lecteur. Les deux planches se situant avant l'épilogue en sont un bel exemple : trois dessins, un texte identique et l'émotion vous prend. Très fort !
Ce dernier tome clôt une trilogie exceptionnelle à tous niveaux et contient tout ce qu'on a aimé précédemment : Manon, les animaux, des décors somptueux ou horribles, les sentiments exacerbés, la tristesse parfois mêlée de joie, cette voie off omniprésente. Il ne manque que la musique...
Le deuxième album laissait présager la construction d'une oeuvre majeure de la BD franco-belge, cet album ne fait que le confirmer de manière magistrale. Pour son sujet atypique, la qualité de son écriture et son sublime dessin, Zoo est un véritable chef d'oeuvre du 9e art, et dans ce cas l'expression n'est pas galvaudée.
7.8