Fats Waller 1. La voix de son maître

F ats Waller chantait le jazz comme personne, sa technique au piano était révolutionnaire et ses talents de compositeur faisaient l’admiration de tous. On l’a trouvé mort en 1943 dans un wagon-lit de la Santa Fe Chief Train. Il avait trente neuf ans. Grande figure artistique et populaire des années 30, Fats Waller a bénéficié, grâce aux nouveaux médias (enregistrements sonores, radiophonie), d’une renommée mondiale. Ce personnage, Igort et Sampayo l’ont choisi afin de lier les différents éléments d’une évocation des « années grises ».

Car « Fats Waller » -dont La Voix de son maître est le premier tome-, n’est pas une biographie en image. Son art sert de fil conducteur à un récit fragmenté qui restitue ambitieusement les enjeux de la société occidentale des années trente. L’avènement du Jazz, qui fut d’une certaine manière le premier pas timide de la longue lutte pour la reconnaissance des Noirs aux Etats-Unis, est mis ici en perspective avec la montée des extrêmes en Europe.

Dans cet album passent des hommes et des femmes pour qui la musique de Fats joue un rôle déterminant en ce qu’elle les accompagne dans leurs vie quotidienne, leurs pensées ou même, influence leur action… Ceux-ci évoluent en parallèle, se croisant parfois sans se rencontrer. Ils s’engagent dans leur siècle, les uns soutenant le nazisme, d’autres rejoignant les brigades internationales afin de lutter contre le fascisme en Espagne.

Ces « moments » sont ponctués par les états d’âme d’un Fats Waller génial mais dépressif, complexé par son poids et par un physique ingrat, sans cesse en proie au doute. Un homme fort éloigné de l’image joviale qui lui demeure attachée. On assiste donc à une immersion dans les pensées et les angoisses de l’artiste qui semble se résigner à ce rôle d’amuseur auquel on l’assigne.

Les auteurs ont réussi là quelque chose de profondément original. Sampayo scénariste de renom (à qui l’on doit un Billie Holiday fort remarqué), impose là un récit résolument non linéaire. Malmenant l’unité de lieu, il opère plutôt par une succession d’instants quasi « musicaux ». N’hésitez surtout pas à agrémenter votre lecture de l’écoute des classiques de Fats Waller comme « Ain’t Misbehavin’ », « Honeysuckle Rose » ou « Handful Of Keys »…

Le nom d’Igort est peu familier aux lecteurs francophones. C’est pourtant celui d’un remarquable dessinateur à la notoriété établie de longue date dans son pays (l’Italie), et qui ne déconcertera pas les amateurs de Loustal. Son trait, épuré mais chaleureux, soutenu par des couleurs en demi-teinte disposées avec goût, s’exprime dans une mise en page aérée.

Confrontation de l’artiste avec son image publique, évocation de la modernité du jazz comme révélateur des passions, mais aussi rencontre de l’Art de l’Histoire, Fats Waller est tout cela, et l’on peut légitimement espérer que la suite de cette série verra se réaliser les espoirs contenus dans ce premier volume.

Moyenne des chroniqueurs
7.5