Petites éclipses Petites Eclipses
U
n petit groupe de six amis se retrouve dans une vieille bâtisse confortable, dans le sud, pour assister à une éclipse totale. Ces petites vacances seront pour eux l’occasion de crever de nombreux abcès, d’en créer de nouveaux, et de remettre en question nombre de leurs certitudes. Du couple au bord de l’implosion au trentenaire séduit par une naïade tout juste majeure, en passant par le déconneur homo et la femme fatale qui déteste les hommes, voici un quasi panorama des névroses relationnelles humaines…
Jim (Tout ce qui fait râââler les nanas, etc...) et Fane (Joe Bar Team), deux auteurs que l’on n’attendait pas dans une collection «élitiste» comme Écritures, se sont alliés pour raconter une histoire simple. La façon dont ils l’ont élaborée, semaine après semaine, semble toute aussi importante que le résultat, puisqu’ils ont chacun conçu trois personnages, en y implantant leurs démons, leurs fêlures, leurs failles, et ont ensuite fonctionné par un système de tac au tac. Un véritable exercice de style, sans filet, pour deux artistes qui ont ici abandonné leurs habitudes de travail pour repartir de zéro.
Que dire de l’histoire ? On y retrouvera des dialogues percutants, fleurant bon le vécu, propres aux BD humoristiques des auteurs. On y retrouvera surtout un aspect «portrait de groupe» qui confronte les six personnages, amis depuis des années, à leurs petites lâchetés, leurs médiocrités, leurs défauts, et leur simple humanité. La réussite de ce compartiment de l’œuvre repose en grande partie sur une vraie noirceur du propos, réaliste certes, mais révélateur de la profonde bêtise de certains rapports humains. Il est, par ailleurs, fort possible que certains se retrouvent dans les questionnements laborieux de ces trentenaires en mal de bonheur, tandis que d’autres seront totalement largués. À chaque «spectateur» de se faire sa propre idée, donc, mais sans toucher à l’universalité, les auteurs réussissent l’exploit de surprendre, de questionner et de bousculer le lecteur, ce qui n’est pas une mince affaire de nos jours.
Le graphisme, de son côté, profite de la dynamique naturelle des styles conjugués des dessinateurs. Moins glamour que le dessin seul de Jim, moins cartoon que le dessin de Fane, c’est un mélange surprenant mais harmonieux, proche du story-board, avec une finition parfois approximative, mais une force que l’on ne retrouve habituellement que dans les croquis de préparation d’une œuvre.
Livre puissant et frappant de densité, Petites éclipses est une vraie bonne surprise. Signé par deux artistes habituellement abonnés aux albums d’humour très grand public, voici une nouvelle réussite pour une collection qui brasse décidemment large. Les adultes trentenaires en pleine introspection pourront observer avec attention les réactions des personnages, et les autres assisteront à une petite leçon de vie. En toute humilité.
7.2