Popeye (Denoël) 2. Le dictapateur

D égoûtationné du monde, Popeye décide de construire une arche et de fonder la nation de Spinachova sur un nouveau continent restant à découvrir. « J'vais prendre un mâle et une femme de chaque z'hommes et animaux : 2 docteurs, 2 avocats, 2 vaches, 2 canassons, 2 éditeurs mais un seul dessinateur. J'veux pas qu'y s'multiplient !! ». L'expédition est financée par le riche et intraitable Mr Sphink, qui impose une condition : l'accès au bateau est interdit aux femmes. Voilà donc notre marin avec 10.000 colons mâles à l'assaut d'un nouveau monde...

Elsie Cristler Segar créa Popeye en 1929, dans le strip quotidien Thimble Theater qu'il animait depuis dix ans. Ce marin bourru prend rapidement la vedette, mais Segar meurt en 1938. La carrière de Popeye aurait donc été courte, si Hollywood ne l’avait consacré avec une série de dessins animés. Denoël Graphic nous invite à redécouvrir le Popeye original du comic-strip, sensiblement différent du héros animé. Par exemple, dans le dessin animé, Popeye devient temporairement d’une force redoutable dès qu’il mange des épinards. Ce gimmick, repris par Goscinny et Uderzo avec la potion magique d’Astérix, n’existe pour ainsi dire pas dans la BD de Segar. Popeye est d’une force prodigieuse de façon permanente. Le ressort comique repose donc sur autre chose : les situations, un humour décalé et satirique et surtout une prodigieuse inventivité du langage. Popeye, personnage mal dégrossi, utilise une syntaxe fantaisiste et les néologismes les plus farfelus. Pour « préhistorique » par exemple, Popeye dira plutôt « espritorique » ou « prékisnorique ».

Le Dictapateur réunit deux épisodes: L'Arche de Popeye et Spinachova contre Brutia. Il s’agit de la plus longue histoire de Popeye imaginée par Segar, parue en comic strips quotidiens publiés entre 1935 et 1936. Insistons sur la forme : créer un long récit découpé en strips quotidiens de trois ou quatre cases est une performance narrative qui tient du grand écart. Il faut à la fois que chaque strip ait une certaine autonomie (avec mise en place, développement et chute), et néanmoins faire progresser l’histoire générale.

Tout cela avait déjà été publié, sous forme d’intégrale, au début des années 1980 et en noir et blanc aux éditions Futuropolis, avec traduction et lettrage de Florence Cestac, qui ont été conservés. La version Denoël Graphic se distingue par une nouvelle maquette et surtout par une colorisation réalisée par Gilles Tevessin. Ce dernier a privilégié des grands aplats de couleurs vives, avec une palette légèrement passée, ce qui s’avère un choix approprié pour rester en adéquation avec le ton de la série et son époque.
On regrettera simplement que l’équipe de Denoël Graphic ait choisi de laisser intactes les fautes d’orthographe, nombreuses, de la version Futuropolis.

Moyenne des chroniqueurs
7.0