Pinocchio histoire d'un enfant

G epetto, boucher de son état, décide un jour de transformer un morceau de viande parlante en marionnette. Lui qui, comme tous ses congénères, est un pantin de bois et de silicone se rend compte jour après jour que sa créature Pinocchio est un nid de problèmes. Dès son premier jour d’école, il fuit et découvre un théâtre d’enfants de chair comme lui. Mais Mangefeu, le propriétaire de l’établissement, profite de sa naïveté et de sa jeunesse, et le viole le soir venu. Conspué et abusé par tous, Pinocchio découvre peu à peu sa différence : il ne ment jamais, son nez grandissant à chaque parole sortie de sa bouche l'atteste. Mais le pays des automates est en guerre contre les grillons, détenteurs de la vérité. Le pauvre enfant se retrouve donc en prison pour oser combattre le mensonge tout puissant…

Le conte de Pinocchio, classique absolu de Carlo Collodi, a déjà connu de nombreuses adaptations, plus ou moins fidèles à l’histoire originale. Ausonia, l’auteur de cette relecture désenchantée, prend le contre pied de la brave poupée de bois perdue dans un monde d’humains, et inverse les morales du livre.

D’une cruauté confinant à la perversion, cet album ose tout. Jeune enfant de chair pourrissante, le héros subit viols, privations et cruautés mentales autant que physiques. L’aspect systématique des retournements de l’histoire peut paraître artificiel, mais l’auteur sait ajouter des messages sous-jacents profondément actuels, et d’un pessimisme absolu. Entre 1984 et Brazil, l’humour en moins, ce Pinocchio trash mutile le conte de fées de notre enfance en y ajoutant de force la noirceur du monde adulte. À ne pas lire en période de déprime…

La couverture est une mise en bouche malsaine, mais qui permet d’emblée de savoir où l’on met les pieds. Tirée d’une sculpture conçue, photographiée puis retouchée par l’auteur, elle stigmatise l’aspect repoussant et glauque de l’album dans son ensemble. Graphiquement très soignées, les planches sont plus classiques dans leur style, sans pour autant nuancer le désespoir contenu dans les mésaventures de ce pauvre amas de viande putréfiée.

On aime ou on déteste. Cet adage galvaudé trouve ici toute son ampleur : certains seront séduits par la virtuosité de l’habillage et l’absence de concession de l’histoire, tandis que d’autres auront une réaction de rejet envers ce grouillement de mal être. À tester, dans tous les cas, car un album de cette trempe mérite que l’on s’y attarde.

Moyenne des chroniqueurs
7.5