Chaland (Intégrale) 4. Le jeune Albert- Adolphus Claar

I l y a sept ans, les Humanoïdes Associés faisaient paraître une édition intégrale en quatre volumes de l'œuvre d'Yves Chaland. Epuisée, celle-ci est aujourd'hui rééditée, sauvant un auteur menacé par l'oubli. Et pourtant ! Nombre d'artistes de premier plan, de Jean-Christophe Menu à Blutch en passant par Charles Burns ou Seth, se réfèrent aujourd'hui encore à son travail. Chaland est paradoxalement reconnu et méconnu, universel et confidentiel. L'homme a disparu depuis quatorze ans déjà ; cette réédition est donc l'occasion rêvée de (re)découvrir une œuvre qui n'a rien perdu de sa force.

La nouveauté vient de ce que cette anthologie propose de reprendre pour la première fois dans cette collection Le Jeune Albert, personnage emblématique de Chaland. A cela s'ajoutent divers récits qui peuvent donner à ce quatrième volume l'impression de manquer de cohérence. Pourtant ici, deux grandes parties complémentaires se succèdent : l'une explore dans une voie intimiste l'univers intérieur de l'auteur, l'autre témoigne de l'intérêt de Chaland pour la science-fiction, et plus particulièrement pour les robots.

Le jeune Albert est apparu en 1980 dans Métal Hurlant en tant que simple faire-valoir du détective Bob Fish. Il prend son autonomie en 1982 dans ce même magazine sous forme d'une demi planche mensuelle qui paraîtra jusqu'en 1987. Chaland crée ici son œuvre la plus personnelle. Ce serait faire fausse route que de chercher dans ces saynètes la chute d'un gag. D'allure anodine, confinant parfois à l'hermétisme, elles nécessitent une approche différente et pour les savourer il faut s'en imprégner, les méditer. L'auteur y concentre toute sa vision de l'humanité, et il se dégage de ces " aphorismes " une philosophie personnelle, l'expression d'une véritable poétique : l'ancien faire-valoir se mue alors en alter ego. À cet égard, l'épisode intitulé " la vengeance " peut-être considéré comme un sommet.

Comme nous l'annoncions, la science-fiction est le thème de la deuxième partie de l'ouvrage. Celui-ci est développé dans les aventures burlesques d'Adolphus Claar, PDG modèle du XXIIIe siècle, ou dans les superbes illustrations d'une histoire pour enfant, kidnapping en Télétran. Le devenir de l'humanité n'est pas au centre des préoccupations de l'auteur ; à travers la science-fiction il s'interroge davantage sur la manière dont ses contemporains se projètent dans l'avenir. Il brocarde au passage les clichés dont nous nous entourons quant au futur de notre développement technologique, et la dureté de la société qu'il décrit est en définitive celle de son XXe siècle. La véritable affection de Chaland pour les robots, ces objets qui nourrirent les fantasmes des années 50, est sensible tant par leur récurrence dans son œuvre que par le soin qu'il apporte à leur design high-tech. Ces nouveaux esclaves, solution idéale à toutes les contingences humaines, prenons garde à ce qu'ils ne se rebellent pas contre nous ! Ces questionnements culminent dans le très beau récit Les Cybers ne sont pas des hommes qui prolonge des interrogations chères à un Philip K. Dick.

Après les volumes consacrés à Freddy Lombard et à Bob Fish, ce dernier tome apporte un éclairage nouveau et passionnant sur l'œuvre d'une des grandes figures de la bande dessinée. Ceux qui regrettent de ne pas trouver là le récit que Chaland a consacré à Spirou se reporteront au quatrième tome des hors séries Spirou édités par Dupuis.

Moyenne des chroniqueurs
8.5