Panier de singe
D
eux hommes armés d’une caméra entrent par effraction dans un jardin zoologique. Leur but ? Obtenir une preuve filmée des abus sexuels subis par… L’éléphant ! Ailleurs, deux photographes totalement cyniques tentent de réussir le portrait d’un jeune garçon qui subit les quolibets incessants de l’un d’eux. Autre part encore, un homme meurt dans un bistrot après avoir raconté une histoire drôle désespérément stupide.
Vous trouverez tout ça, et bien d’autres choses, dans l’objet livresque chroniqué ici. Ce n’est pas un panier de crabe, mais bien un panier de singe, mis en place par Florent Ruppert et Jérôme Mulot, déjà auteurs entre autre de Safari Monseigneur.
L’humour sous toutes ses formes tient une place prépondérante dans cet album : parfois subtil, souvent très noir et cynique, toujours irrévérencieux, il peut aussi prendre une tournure tragicomique quand une blague potache vire à la catastrophe (ou quand deux imbéciles se jettent divers objets à la tête lors d’une soirée, du cendrier à la bombonne de gaz, pour finir par un piano à queue). Résolument décalés, les auteurs s’amusent à créer des jeux qui nécessiteront le charcutage (ou le photocopillage) du livre, à base de phénakistiscopie ou de pliages aussi complexes que pornographiques (et zoophiles, éléphant oblige). Mais leurs expérimentations ne s’arrêtent pas là : ainsi, l’histoire titrée Stéréoscopie de saloon nécessite un strabisme forcé du lecteur, afin de créer le sentiment d’une troisième dimension. Ou Le hold-up, histoire en deux pages, qui enferme ses personnages dans une redite constante et les emprisonne avant même qu’ils n’aient commis leur crime… Le rythme subit aussi les outrages de ce drôle de duo. Les dialogues au tac au tac sont étalés sur des cascades de cases verticales minuscules, ou sont confrontés en grappes de phylactères. Certains mouvements, certaines actions sont quant à eux décomposés à l’extrême, et le lecteur se retrouve à recomposer mentalement le mouvement induit par ce système proche de la pellicule de cinéma.
Le graphisme est aussi clinique et froid que possible et distancie au maximum les bouffonneries des personnages ou les exactions totalement psychopathologiques des deux photographes. Le lecteur se retrouve dès lors embarqué dans un univers aux contours guère définis et navigue à vue dans une boue glauque et surréaliste que ne renierait pas le Benoît Poelvoorde de C’est arrivé près de chez vous.
Objet hors norme et atypique, Panier de singe mérite une attention toute particulière de par son refus absolu de toute convenance et du politiquement correct.
7.3