Mutafukaz 1. Dark Meat City

A ngelino est livreur de Pizza dans la bonne ville de Dark Meat City. Engorgée de gangs tous plus violents les uns que les autres, scindée en une multitude de ghettos renfermés sur eux-mêmes, cette cité fait partie des plus dangereuses de la planète, et Angelino ne doit sa survie qu’à un art consommé de se faire tout petit. Pourtant, avec sa tête entièrement noire, il ne passe pas inaperçu, d’autant que son meilleur ami Vinz ressemble à s’y méprendre au Ghost Rider, avec son crâne apparent et enflammé. Difficile de faire deux pas dans la rue sans s’entendre interpellé par un gangsta teigneux, le flingue à la main. Jusqu’au jour où Angelino est victime d’un accident de scooter, et voit des ombres étranges accrochées à certaines personnes. Des ombres avec des oreilles de Batman. Des ombres qui résonnent bizarrement dans son imaginaire, alors que des OVNI se baladent au-dessus de la ville et que de drôles d’hommes en noir se mettent à le poursuivre…

Mutafukaz est un projet multimédia aussi inattendu qu’ambitieux, mené par un graphiste et animateur qui a dû se tourner vers une minuscule maison d’édition pour publier enfin sa bande dessinée. Après une séquence d’animation qui a fait le tour du net, et a raflé au passage nombre de prix dans le monde entier, Run (l’auteur) a contacté plusieurs éditeurs, et a été refusé autant de fois. Jusqu’à sa rencontre avec le staff d’Ankama, éditeur autoproduit et distribué, qui a été mis en place par l’équipe de Dofus (MMORPG français gratuit et dont le succès va croissant) afin de proposer au public des livres tirés de l’univers du jeu. L’enthousiasme de la jeune structure a donc permis à ce drôle de bouquin de voir le jour, sous la forme voulue par son auteur : pavé de 120 pages, alternance papier glacé-papier mat, passages sans complexe de la couleur informatisée au noir et blanc crasseux… Avant même d’ouvrir le volume, le lecteur sait qu’il doit s’attendre à quelque chose de différent.

Le dessin est fatalement la première chose qui saute aux yeux. Le travail de graphiste de l’auteur est évident ici, que ce soit dans le choix des polices de caractère, ou dans le mélange esthétique bd-comics-manga… Clinquant, pêchu et clairement maîtrisé, il regorge d’influences mais finit pourtant par imposer sa propre touche. Les amateurs de GTA (jeu vidéo ultra violent au succès planétaire) reconnaîtront sans peine le style des illustrations du jeu, par exemple, mais Run sait réutiliser tous ses modèles à sa sauce, explosant ses pages avec une énergie réjouissante et faisant subir à ses personnages des transformations et des délires venus d’ailleurs.

L’histoire, quant à elle, laisse fatalement un petit goût de trop peu : totalement survolté, ce premier tome est une introduction. En 16/9, d’une qualité confondante, mais une introduction quand même. On se laisse porter par des personnages sympathiques, dans un univers réaliste (hum) et cohérent, et le mélange gangsta–fantastique fonctionne à plein régime, éclaboussant l’album de références populaires et très Z : hommes en noir, catch mexicain, pizzas caoutchouteuses et gangs hispano-afros-blanco-crétins. Le tout recouvert de cafards affamés, bien entendu…

Un authentique plaisir de lecture, savoureux pour son aspect BD sans frontière, et réjouissant par son absence totale de complexe.