Un homme est mort

1950. La guerre est finie mais Brest n’est encore qu’un vague champ de ruines en reconstruction. Les milliers d’ouvriers travaillant sur les chantiers sont hébergés dans des « baraques ». Pour protester contre la misère et les conditions de travail, la grève éclate. Le 17 avril 1950, lors d’une manifestation particulièrement violente, la police ouvre le feu. Un homme s’écroule, tué d’une balle en pleine tête.

Un homme est mort est avant tout un livre de mémoire. Les auteurs y racontent le tournage d'un film, dont il ne reste aucune copie aujourd'hui, par lequel le cinéaste René Vautier a décidé de couvrir ces événements. Comme le rappelle Kris lui-même, n'ayant pas forcément de nostalgie pour les combats ouvriers de l’immédiat après-guerre, il s'est attaché à illustrer en bande dessinée cet épisode violent de la destinée du réalisateur et de ses compagnons. Le support a fourni aux auteurs une totale liberté pour retranscrire la diversité de leurs archives et l’engagement de l'artiste dans le combat social de l’époque y est formidablement transposée.

Pour mener à bien ce projet Kris (Le déserteur, Le monde de Lucie) s’est associé à Etienne Davodeau, auteur attaché aux récits ancrés dans le réel (Les mauvaises gens, Rural !). La collaboration qui devait à l’origine n’être qu’éditoriale, devient totale puisqu’en plus de participer au scénario, celui-ci va s’attaquer au dessin d’un album qui « se devait d'exister ». Et le coup de patte est là : des personnages vivants et authentiques, des décors sans fioritures, conformes à la cité bretonne en reconstruction, et un rendu des ambiances, intimistes lors des projections ou complètement ouvertes lors des manifestations de rues. Enfin la couleur est sans doute ce qui contribue le plus à la réussite du dessin de cet album. L’omniprésence du sépia, parfois terne et monotone, mais superbement relevé des touches rouge vif des drapeaux et du sang, est entrecoupée de cases en noir et blanc rendant les scènes d’autant plus réalistes.

La complicité de deux auteurs, qui a priori n’étaient pas faits pour se rencontrer, a permis de produire un véritable documentaire, qui par sa justesse et sa précision n’a rien à envier aux meilleurs films du genre. A noter que l'album contient un passionnant dossier de 16 pages détaillant le travail de recherche des deux auteurs.