Spirou et Fantasio 49. Spirou et Fantasio à Tokyo
S
pirou, Fantasio et Spip sont à Tokyo pour couvrir l'inauguration d'un parc à thème consacré au Japon Historique. C'est du moins la version officielle des raisons de ce séjour. En réalité il s'agit pour nos héros d'aider Itoh Kata (souvenez-vous, Du Glucose pour Noémie et l'Ankou) à enlever deux enfants aux pouvoirs particuliers des griffes de la mafia japonaise.
Spirou et Fantasio à Tokyo est leur troisième Spirou, et on ne peut pourtant s'empêcher de voir encore le duo Morvan / Munuera comme "la nouvelle équipe de reprise". Un peu comme si cet album n'était une fois de plus qu'un essai, tant l'impression reste forte d'un décalage avec l'esprit de la série toute entière.
Ce qui frappe avant tout, c'est la sensation que la construction globale de cette histoire – scénario, découpages, dialogues…, est entièrement dédiée aux principes BD du moment. Tout est là : ça court, ça vole, ça cause beaucoup… mais ça ne fait pas avancer le schmilblick pour autant. Ainsi en 64 pages, on nous présente une intrigue qui n'aurait pas même rempli un 46 planches scénarisé par Greg ! Si ce type d'histoire entre parfaitement dans la logique de la production contemporaine – à laquelle il est reproché un vide scénaristique parfois flagrant – ce style pourrait bien devenir "has-been" aussi rapidement qu'il a éclos. Est-il vraiment nécessaire de rappeler que la série Spirou existe encore et toujours parce que ses meilleurs auteurs étaient avant tout des créateurs innovants ? Certes Franquin était influencé par Jijé, ou Tome & Janry l'ont été par Franquin ou Greg… mais ils n'avaient qu'un but : celui de présenter des histoires dans leur style personnel ! En se donnant pour "mission" d'amener un public adolescent vers Spirou, Morvan et Munuera font des albums dans l'air du temps, avec le personnage de Spirou dedans.
Autre signe de dépendance des auteurs aux influences extérieures, Morvan et Munuera sont allés au Japon pour réaliser cet album, et ça se voit… on ne voit même que ça ! Il ne se passe pas trois pages sans qu'on aie un commentaire sur les coutumes japonaises, une traduction ou une explication concernant les expressions utilisées, ou une anecdote "typique". On a l'impression d'assister à une soirée diapo de voisins qui veulent TELLEMENT faire partager leur merveilleuse expérience. Même l'humour, présent ça et là, est si dénué de recul et imprégné d'un esprit occidental qu'il en devient touristique ! On est plus dans Tintin en Amérique que dans Spirou à Moscou.
Et puis il y a le Manga.
On peut apprécier la volonté des auteurs de rendre un hommage à la BD japonaise dont l'apport pour le renouvellement du franco-belge n'est plus à démontrer. Mais quand l'influence est trop présente jusqu'à toucher les principes Historiques de la série, un problème se pose. Intégrer des séquences de combats sur le mode manga, pourquoi pas… mais utiliser la lévitation de façon un peu trop marquée, cela devient ridicule.
On sait que JD Morvan est un scénariste qui aime le fantastique et les scènes spectaculaires. Mais Spirou n'est pas un Space Opéra et encore moins du Fantastique !
Le principe des aventures du groom le plus célèbre de la BD franco-belge se base sur le délicat équilibre entre l'aventure et la fantaisie scientifique. Les peuples évolués cachés depuis des millénaires, les enfants à super-pouvoirs et, qui sait, demain les vaisseaux spatiaux, il faut les laisser à Blake & Mortimer ou à Indiana Jones. Certains anciens auteurs de Spirou se sont parfois engagés dans ces voies aventureuses, les albums qui en ont résulté sont aujourd'hui souvent oubliés.
Au final ce Spirou à Tokyo plaira certainement à une partie des lecteurs pour qui Franquin est démodé et qui préfèrent chez Tome & Janry la Machine qui rêve au Spirou à New York. Pourquoi pas ?
Mais pour les autres, ceux pour qui QRN restera à jamais dans les annales de la BD, les lecteurs qui s'esclaffent devant l'humour parodique du Réveil du Z, ou ceux qui gardent une petite nostalgie pour la gentille poésie militante d'un Tora Torapa, pour ceux-là cette aventure à Tokyo semblera bien creuse. Les images sont belles, mais comme pour le parc "Edo-Resort" de l'histoire : ce ne sont que des décors de théâtre.
4.3