La perdida

C arla est une jeune américaine dont le père a toujours renié ses origines mexicaines. Arrivée à l'âge adulte, elle ressent le besoin de découvrir le Mexique, sur les traces de son héroïne Frida Kahlo. D'abord hébergée par un ami et évoluant dans les sphères des "expat'", la jeune femme va se mêler peu à peu à une population qui, elle s'en rendra progressivement compte, ne veut pas d'elle. De faux amis en vrais trafiquants, elle va entreprendre une descente aux enfers. Son salut ne viendra que de l'amour des siens, sur lequel elle n'aurait jamais compté avant.

Dans La perdida, Jessica Abel reprend la thématique assez connue du voyage initiatique, pour l'appliquer à une jeune oie blanche en quête de ses racines mais qui, surtout, se cherche et se perd. Pour mieux faire entendre son propos au lecteur, elle le plonge totalement dans le Mexique d'aujourd'hui, ne lui épargnant ni l'espagnol, ni les bourdes, le forçant presque à prendre conscience d'une réalité méconnue en Europe, et totalement inconnue aux Etats-Unis. Et il faut reconnaître que ça fonctionne. L'incompréhension se mêle à la fureur à la lecture des aventures de cette jeune imbécile, fureur d'autant plus vive que ses erreurs paraissent, à première vue, la meilleure solution. Lorsqu'elle est définitivement prise dans l'engrenage, il paraît sur le moment impossible de trouver quelque chose de plus logique.

Graphiquement, il est difficile de ne pas penser à un Craig Thompson très épuré. L'analogie vient probablement du fait que les deux américains se sont inspirés du même auteur, un français, Blutch. Les planches sont noires, denses, ou à l'opposé très claires et aérées. Les décors minimalistes laissent place aux expressions des personnages et, lorsqu'au détour d'une page, on tombe sur une vue de la ville, on en a le souffle coupé, l'effet de surprise résultant de ce changement soudain jouant pleinement. La minutie dont profitent ces reconstitutions de l'environnement mexicain traduit pleinement l'amour de l'auteur pour ce pays et l'on sent alors que l'année qu'elle a passé là-bas l'a énormément marquée.

La Perdida est un album tout en contrastes, qui parlera différemment à chacun selon son expérience. Mais il est d'ores et déjà porteur d'une leçon : celle que tout pays mérite d'être connu pour lui-même et non pour l'idée qu'on veut bien s'en faire. Idée qui est dans la plupart des cas extrêmement éloignée de la réalité.