Chroniques absurdes 1. Un monde délirant

L ’Espagnol Miguelanxo Prado compte parmi les « grands » de la bande dessinée. Animé d’un souci constant d’innovation, il est de ceux qui ont contribué à donner au 9e art ses lettres de noblesse. Pour son œuvre il s’est vu par deux fois récompensé du prix du meilleur album étranger au festival d’Angoulême avec Manuel Montano puis Traie de craie. Ce palmarès inspire le respect, cependant depuis quelques années l’auteur semblait avoir disparu de la scène B.D.

On ne peut que se réjouir de ce que Prado nous revienne avec la réédition de ses « chroniques absurdes », et c’est tout à l’honneur de la jeune collection Expresso que de nous les proposer dans le respect de l’ordre souhaité par l’auteur. Enfin, si ces bandes ont été réalisées au milieu des années 80, elles n’ont pourtant rien perdu de leur actualité.

Dans un décor fermement inscrit dans la vie quotidienne, l’auteur s’attache à relater les mésaventures d’un quidam aux prises avec une situation aberrante. On y voit par exemple les déboires d’un homme qui cherche coûte que coûte à « garder le contrôle », les malheurs d’un passant qui a exprimé trop explicitement son dégoût pour les déjections canines, ou encore la traque des arbitres d’un match par une horde de supporters enragés.

Cette succession de courts récits satisfait les promesses de ce titre paradoxal. Prado ne recherche jamais le grotesque ni l’effet facile. Non. Pour emprunter à Sempé, il instaure un « léger décalage » qui perturbe le cours de l’ordinaire. Le cadre de ces chroniques est le plus souvent urbain mais c’est celui d’une ville inhumaine, aux architectures modernes anormalement tordues et envahissantes qui créent un sentiment d’oppression. Le héros est presque toujours une victime du collectif, une personne broyée par l’absurde de la société. Ne se départant jamais de son humour distancié, l’auteur nous laisse assister impuissant au spectacle de la lâcheté, de la petitesse et de la bêtise. L’ouvrage ne s’ouvre-t-il pas sur cette dédicace : « à tous les débiles et bêtes de tout poil qui transfèrent sur le sport leurs furies patriotardes. » ?

Le graphisme protéiforme mais toujours brillant de Prado trouve ici le ton juste : à mi-chemin entre le réalisme et la caricature, il est nerveux, expressif et rehaussé de couleurs aux teintes légèrement pastel qui donnent à son dessin un modelé délicat dont seul l’auteur a le secret.

Tout à la fois drôles et amères, anecdotiques et édifiantes, ces « Chroniques absurdes » nous rappellent à notre propre mode de vie, car ce monde délirant contre lequel l’auteur semble vouloir nous mettre en garde, c’est avant tout le nôtre.

Moyenne des chroniqueurs
7.5