Cuervos 4. Requiem

U ne vingtaine d'années a passé depuis le tome 3. Jadis gamin des rues de Medellin recruté comme sicaire, adolescent écorché pris sous la protection d’un parrain du Cartel, puis jeune député au parlement colombien se faisant remarquer par ses méthodes tapageuses, Joàn Mendez a poursuivi son ascension vertigineuse. A présent maître redouté des cartels, il est aussi un politicien influent, ministre en poste et candidat aux prochaines élections présidentielles. Mais le décès de son épouse Beatriz va tout compromettre. Joàn, qui ne tolère pas que sa femme ait pu lui dissimuler son cancer, plonge graduellement dans une folie incontrôlable. L’empire Mendez serait en péril ? Pas si sûr : de retour d’Europe pour assister aux obsèques de sa mère, Alexia, la fille mal-aimée de Joàn, entend bien prendre la succession…

«Cria cuervos y te comeran los ojos» (élève des corbeaux et ils te mangeront les yeux). Cet avertissement gravé sur une montre offerte à Joàn donne à ce récit son titre et sa thématique. En effet, plus encore que les cartels, la corruption ou les conditions de vie dans les bidonvilles, le sujet de Cuervos est la trahison. Amitié, amour, famille sont des liens fragiles et souvent rompus dans un monde où le business et la politique se conquièrent par les armes.

Des mafiosi, bandits et autres crapules, la bande dessinée n’en manque pas. Mais ce qui rend Cuervos assez unique, c’est le ton employé, qui est celui d’un réalisme distancié. A aucun moment les auteurs ne cherchent à canaliser les émotions du lecteur. Joàn n’est pas montré comme un héros, rien n’est fait pour le glorifier. Il n’est pas non plus présenté comme un anti-héros, ni comme la victime d’un système. A la manière d’une équipe de reportage, les auteurs se contentent de restituer les faits bruts (et brutaux), sans jugement de valeur, quoi qu’il se passe. Loin de rendre le récit plus fade, cela lui donne une authenticité inquiétante. D’autant que la Colombie a bel et bien connu, avec Pablo Escobar, des narcotrafiquants narguant les institutions au point de se lancer en politique.

Au service de cette fresque complexe et dense, Michel Durand fait preuve d’un sens remarquable de la composition. Ses cadrages sont particulièrement audacieux, avec des vues en plongée si nombreuses que le lecteur est constamment au bord du vertige. C’est toutefois moins vrai dans le quatrième et ultime tome que dans les précédents, probablement parce que le récit est cette fois plus centré sur Alexia, qui a les pieds sur terre, que sur son père constamment déconnecté.


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