L'homme qui s'évada L'Homme qui s'évada

C amille-Eugène Dieudonné est un simple ouvrier ébéniste. Il combat le patronat, il combat l’exploitation, ses opinions lorgnent du coté des anarchistes. Mais en France, en 1911, quand on prononce le mot «anarchiste», on pense automatiquement à la bande à Bonnot. Leurs spécialités : les attaques en tous genres, contre les flics, contre les employés de banques, contre les symboles de l’Etat. Ils sont dangereux, et surtout ils sont en liberté. L’opinion publique veut un coupable, la police va en trouver un. Voilà comment Camille-Eugène Dieudonné se retrouve condamné au Bagne de Cayenne pour un crime qu’il n’a pas commis. Onze ans plus tard, le journaliste Albert Londres se rend en Guyane pour enquêter sur cette prison. Les deux hommes vont se rencontrer, l’un parlera tandis que l’autre écoutera son histoire, et quelle histoire !

Laurent Maffre adapte le roman d’Albert Londres l’homme qui s’évada (publié en 1928). Il découpe son album en trois parties. La première s’attarde sur les raisons de l’envoi du héros à Cayenne, sur la description du bagne et sur la vie que les prisonniers y mènent. La seconde raconte en détails l’évasion de Dieudonné et de ses compagnons. La dernière parle de la vie après l’enfer et sur la possible réhabilitation du héros. L’auteur prend le partie d’être fidèle au roman, et surtout aux dialogues d’Albert Londres. Le texte est simple, efficace, et direct, il décrit l’horreur, il donne du sens au mot «liberté», on comprend rapidement pourquoi ce terme est nommé par les bagnards «la Belle». L’homme qui s’évada parle de l’inhumanité (les conditions de vie, des chasseurs d’hommes, des profiteurs de misère), mais aussi de l’humanité (la rencontre entre le journaliste et le prisonnier en est l’exemple parfait).

En bande dessinée, les thèmes comme l’anarchie, la lutte politique, la misère humaine, l’opposition face à la police et les militaires, le petit peuple … font déjà penser à Jacques Tardi. Alors quand on feuillette l’album et que l’on regarde le trait de Laurent Maffre, la filiation devient évidente. Son dessin est bon pour la description des lieux, mais il excelle pour les tronches de ses personnages, plus marquants les uns que les autres. Cependant il s’éloigne du maître sur un point important : le découpage. Il utilise de nombreuses subtilités pour faire avancer son récit. On y trouve des planches sans cases, des pleines pages, le gaufrier. Il utilise de nombreux moyens pour placer son texte, l’exemple le plus réussi étant le tatouage des prisonniers.

Laurent Maffre réussit donc son pari. Son adaptation est prenante par l’intrigue, intelligente par son découpage. Il donne envie de relire ou de découvrir les œuvres d’Albert Londres. Si on ajoute à cela un travail remarquable des éditions Actes Sud au niveau de l’impression, du papier, on obtient un premier album de qualité.

Moyenne des chroniqueurs
8.0