Violent cases Violent Cases

N eil Gaiman se souvient d’un épisode étrange de sa jeunesse. Quand il habitait Portsmouth, après une dispute avec son père, il se retrouve avec un bras foulé. Il est emmené au sous-sol d’une des nombreuses maisons grises de cette ville pour y être soigné. C’est là qu’il rencontre un ostéopathe, mais pas n’importe lequel, un qui a soigné des gangsters dont un certain Al Capone ! Etrange personnage surtout pour un garçon de 4 ans.

Au Diable Vauvert décide donc de rééditer la première collaboration de Neil Gaiman et Dave McKean (publiée chez Zenda en 1992). Deux artistes qui vont marquer la bande dessinée avec des titres tels que Sandman (La saison des brumes, Nuits Eternelles, Préludes & Nocturnes, La Maison de Poupée, Domaine du Rêve), Cages, ou Black Orchid.

C’est en 1986 que les deux auteurs se rencontrent. Et c’est un peu plus tard, sous l’action de Paul Gravet qui dirigeait à l’époque le magazine Escape, que l’idée d’un travail commun prit forme. Au début cela devait être une histoire en 5 planches, pour finalement aboutir à 44 planches. Très rapidement Neil Gaiman comprit que graphiquement il avait très peu de choses à dire, Dave McKean débordait de talent, alors il fallait le laisser faire. Ainsi Neil écrit les mots que Dave se dépêche de dessiner. C’est ce mélange qui fera la grande force de ce couple. Les dialogues sont toujours ciselés. Comme souvent, Neil Gaiman aime utiliser de nombreuses bulles pour livrer les pensées de ses personnages (et surtout les siennes pour cet album). Elles sont parfois parsémées pour laisser la planche libre au trait du dessinateur, mais elles peuvent aussi se suivre rapidement pour donner un rythme plus rapide, plus prenant. Autre choix surprenant et judicieux, celui de raconter cette histoire comme si quelqu’un prenait des notes. Ainsi au trois quarts de l’album, l’auteur se dit que la tête de l’ostéopathe n’est pas la bonne, que ses souvenirs l’ont trompé ; pas grave, par la suite on continue autrement.

Le scénario met en parallèle une description de la prohibition sous un angle polar (Violent cases étant le nom donné aux étuis à violon qui servaient à cacher les armes), et celle d’un enfant face à son père et à ses camarades.
Ce mélange fait la qualité, mais aussi le principal défaut de l’album. Ces deux aspects étant trop marqués, trop difficiles à appréhender dans sa globalité. Les deux auteurs y parviennent tout de même dans un passage d’anthologie : d’une part le jeu de la chaise musicale faite par les enfants, et de l’autre un massacre perpétré par Al Capone sur certains de ses « amis » attachés à des chaises. Incroyable comparaison, admirablement mise en images par Dave McKean.

Dire que Dave McKean est talentueux reste et restera une évidence. Il a un sens du découpage, se permettant d’utiliser des techniques simples comme le gaufrier, ou de totalement exploser ses cases. Il y a toujours le sentiment que ce choix est le meilleur. Il utilise tout ce qui lui tombe sur la main : crayons, stylos, plumes. Il travaille sur photo, colle des vignettes. Il peut dans la même page faire un dessin réaliste et se lancer juste dans une évocation. Dans cette nouvelle édition, la couleur a été ajoutée. Là aussi, un choix fin, une gamme très légère de bleus, de gris, et de bruns, suivant la noirceur du récit.

Violent cases est bourré de talents. Talent d’un incroyable créateur de mots et d’univers qu’est Neil Gaiman. Talent d’un formidable artiste qu’est Dave McKean. Alors oui, c’est leur premier travail ensemble, alors oui il est dommage que le mélange ne prenne pas totalement. Oui ce n’est pas encore un chef-d’œuvre. Les bijoux viendront plus tard, mais la qualité est déjà là.

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Moyenne des chroniqueurs
7.7