À quatre mains 1. Tome 1

E n 1923, dans la chaleur de l'été mexicain, alors que Stan Laurel se livre à une expérience consistant à vérifier si le chagrin d'amour ne serait pas soluble dans l'alcool, il assiste éberlué (et ivre) à l'assassinat de Pancho Villa. Dans les années 1970, le cynique Alex crée le "Shit Department", une cellule non-officielle de la CIA spécialisée dans les opérations de désinformation. Plus proches de nous, Greg et Julio, deux journalistes et associés, se disent qu'il est grand temps de se lancer dans la co-écriture d'un roman.

À quatre mains, prix Dashiell Hammett 1991 (une distinction qui récompense le meilleur roman policier sud-américain de l'année), est un livre qui a pour réputation d'être inracontable tant il contient de personnages, d'époques et de lieux différents. Parmi la quarantaine de romans de l'écrivain mexicain Paco Ignacio Taibo II, c'est pourtant pour celui-ci qu'Améziane s'est pris de passion, au point de vouloir l'adapter en bande dessinée.

Alors, pari impossible ? Non, ce serait plutôt une réussite. Le dessinateur, sous le patronage complice du romancier, a conservé une forme très littéraire au récit, avec de longs récitatifs qui permettent d'apprécier son style. Pour que les sauts d'un personnage à l'autre ne soient pas trop difficiles à suivre, Améziane a adopté une colorisation et un style graphique particuliers pour chaque séquence. Les scènes avec Laurel sont dans les tons ocre. Celles avec les journalistes sont exécutées à la manière des comics, avec de grands aplats flashy. Enfin, les vignettes consacrées au Shit Department sont pour la plupart en bichromie. Les personnages y sont dessinés de façon caricaturale, avec des erreurs anatomiques probablement volontaires, pour entretenir un certain malaise chez le lecteur.

Bien qu'efficaces, ces effets ne sont pas toujours très satisfaisants d'un point de vue esthétique... Mais tout cela est largement racheté par la dernière séquence, qui occupe le dernier tiers de l'album. Il y est question du grand-père de Julio, prétexte pour suivre un demi-siècle d'engagement politico-syndical d'un ouvrier espagnol au destin hors du commun. Ce chapitre exaltant est exécuté dans un graphisme à la manière des affiches de propagande révolutionnaire des années 1920. Très impressionnant, et pour ne rien gâcher tout à fait passionnant !

Ce premier tome de 96 pages séduira autant les amateurs de polar d'espionnage, que les passionnés d'Histoire. En attendant le prochain volume, en mars 2007, on pourra se plonger dans le roman (disponible aux éditions Rivages).

Moyenne des chroniqueurs
7.5