La tendresse des crocodiles Une aventure de Jeanne Picquigny
I
l est des fictions dont les personnages nous laissent un souvenir si fort que c’est comme si nous les avions réellement rencontrés. Ainsi en va-t-il de la tendresse des crocodiles, album tout entier porté par la personnalité attachante de Jeanne Picquigny. Fred Bernard, son auteur, nous offre ici une œuvre foncièrement originale et charmante qui n’a pas véritablement trouvé l’écho qu’elle méritait.
L’histoire qui se déroule au début du siècle dernier est celle de Jeanne, une jeune femme qui sans nouvelles de son père savant et explorateur, décide de partir à sa recherche en Afrique. En dépit de son éloignement, celui-ci avait tissé un solide lien avec sa fille en lui faisant parvenir les films qu’il tournait au cours de ses voyages.
Accompagnée d’Eugène Love Peacok, un guide aussi séduisant qu’alcoolique, Jeanne s’enfonce dans les profondeurs de la forêt équatoriale pour mener sa recherche jusqu’à son terme inéluctable ; en chemin elle va rencontrer maints personnages hauts en couleurs cependant que le monde imaginé de l’Afrique dont elle était imprégnée va prendre alors une dimension nouvelle.
Quelques pages seulement suffisent à nous happer : car au-delà du récit d’une quête, l’album est aussi une exaltation poétique et fantasmée du Continent Noir. L’Afrique, ses mystères, ses forêts denses, ses moustiques omniprésents, ses cultures riches, tout cela est rendu à merveille. Sous le regard de Jeanne la vision donnée prend tantôt l’allure d’une exploration grandeur nature d’un livre d’image, tantôt sous l’effet du drame, elle se colore d’authenticité.
L’originalité de l’ouvrage vient de ce que l’auteur semble avoir puisé son inspiration dans des genres étrangers à la bande dessinée (récits de voyages, cinéma, …), et ne s’être aucunement soucié de s’inscrire dans une quelconque mouvance de la bd actuelle. En toute sérénité il déroule la logique de son histoire tout au long de ses 172 pages sans que jamais ne faiblisse notre intérêt. Elégante, d’une grande fluidité, celle-ci nous est présentée comme une suite de cinq chapitres qui s'ouvrent chacun par une très belle page où un texte poétique calligraphié se mêle subtilement à des images d'une Afrique onirique. Le ton est littéraire mais demeure naturel. L'histoire est racontée à la première personne, à la manière d’un journal de bord; nous nous trouvons ainsi au plus près dans l’intimité de l’héroïne, à la fois entêtée et touchante.
Le dessin apparaît comme le prolongement naturel du propos. En noir et blanc, il évoque parfois l’art d’Hugo Pratt dans sa puissance d’évocation comme dans son économie de moyens. Il est à la fois beau, spontané et efficace, s’apparentant par moment à une sorte d’écriture. Sensuel enfin, il nous fait ressentir les lumières, les atmosphères, comme les odeurs.
Une annonce au bas de la dernière page laisse espérer un retour de Jeanne Picquigny que nous attendons avec impatience.
>> Chronique de l'Ivresse du Poulpe (une aventure de Jeanne Picquigny tome 2)
>> Chronique de Lily Love Peacock du même auteur
7.7