Où le regard ne porte pas... 1.

Q uitter les brumes londoniennes pour la brise méditerranéenne et faire fortune en Italie, tel était le projet d'Alex, mari aimant et père de William et Justine. Tout commencerait dans la petite ville portuaire de Barellito, sur la propriété des Di Castagnedi, héritage de William.
Le capitalisme, voilà ce qu'il manquait à cet endroit paradisiaque ! Cela débutera avec un bateau de pêche à vapeur, puis un second... et bientôt Alex mettra sa petite famille à l'abri du besoin.
Un doux rêve que ne partageront malheureusement pas les villageois de Barellito.
Seule Lisa semblait attendre avec impatience l'arrivée de la famille londonienne, et celle de William plus particulièrement.
Mais comment la petite fille avait-elle prévu la venue de celui qu'elle présentera à ses deux amis, Paolo et Nino, comme le "quatrième" ?

Où le regard ne porte pas est, dès le départ, un titre pour le moins énigmatique qui livrera son secret dans son second et dernier tome, à paraître en juin 2004. On est tout de suite captivé par le vertige d'une couverture qui ne laisse rien filtrer du contenu du récit. Le charme commence à opérer et déjà vous pouvez entendre le roulis des vagues... ou bien ne serait-ce que le bruissement des pages ?
Le dessin d'Olivier Pont est élégant et expressif. Les personnages, même si leurs visages manquent parfois de régularité, possèdent de ces traits qui marquent le lecteur ; fermés et secs lorsqu'ils dépeignent Marallo, jovials et ronds quand ils appartiennent au père de William.
Les décors sont aussi l'un des points forts de ce album. Certaines pauses, contemplatives, permettent au lecteur de s'attarder un instant au niveau d'une coccinelle sur son brin d'herbe. Pont introduit ici une sorte de respiration graphique qui s'accorde parfaitement avec la douce torpeur du récit. Les nuances de bleu et de grès sont stupéfiantes. Le travail de J-J Chagnaud est sur ce point remarquable. L'ambiance méditerranéenne est plantée dès les premières planches. La végétation, les bâtisses délabrées, le travail sur les éclairages, tout inscrit de manière crédible ce récit dans une Italie du début du siècle. Esthétiquement, et sans être une révolution, Où le regard ne porte pas est une vraie réussite.

On se laisse facilement mener par le rythme nonchalant du récit de Georges Abolin. Les dialogues sonnent juste, à l'image de cette conversation sur Dieu au pied de l'église entre William et son père. Tout semble mesuré et harmonieux. A l'instar du dessin, il n'y a rien d'extraordinaire et c'est sans doute là tout le charme de ce titre: créer un récit crédible et séduisant sans autre artifice que celui de l'authenticité. Il y a un peu de Pagnol dans cette histoire.
Au récit de la reconversion du père en marinier viendra se greffer l'aventure mystique de William, Lisa, Paolo et Nino. Peu d'indices sur cette dernière si ce n'est une série de visions sans aucun rapport avec la trame principale. Beaucoup de mystères seront vraisemblablement révélés lors du prochain tome. A noter le tragique de certaines scènes contrastant beaucoup avec l'atmosphère 'bon enfant' des premières pages. Les thèmes de la peur de l'autre et de l'ostracisme sont à ce propos traités avec beaucoup de justesse et d'humanité.
Où le regard ne porte pas est donc un album qui se lit avec beaucoup de plaisir et dont on sort à regret, rêveur et un peu euphorique.