Le château des Animaux 4. Le Sang du roi
D
ans Le Sang du roi, Miss B poursuit son parcours de résistante, de mère courage et d’habitante du Château. La voilà aujourd’hui cheminant en équilibre sur cette corde raide de la résistance non violente, avec sa grâce féline habituelle, mais aussi avec une gravité, une force de caractère et de conviction qui en ferait pâlir d’envie plus d’un. Silvio le premier !
Ce quatrième et dernier tome déploie une tension douce-amère où l’espoir et la peur avancent patte dans la patte, et c’est ce qui fait la force du récit. L’album fait parfois rire, serrer les dents, souvent retenir son souffle, mais permet de s’attacher irrémédiablement aux animaux du Château. Ils portent en eux ce que l’humanité peut avoir de meilleur et de pire, avec une touche de mignonitude, fourrure et sabots.
Miss B, justement, s’y révèle dans toute sa splendeur. Son image de leader déterminée, courageuse, s'en trouve renforcée, symbole de lumière dans les ténèbres tel un phare dans la nuit. Elle est bien loin de l’héroïne brute et sans faille attendue dans ce genre récit. Elle ne brandit aucune arme, pas même une griffe. Son arme, c’est ce regard affirmé, et son bouclier, une conviction inébranlable.
D’aucuns pourraient croire que la non-violence ferait tâche dans un univers frappé du sceau de la brutalité, mais c’est là que réside toute la puissance du récit. À chaque scène la question se pose : combien de temps tenir sans céder à la colère ? Jusqu’où la douceur peut-elle faire trembler les murs d’un pouvoir qui ne comprend que les coups de cornes et les crocs ? Et surtout, comment convaincre des animaux terrifiés, humiliés, épuisés, parfois au bord du désespoir, que la retenue est plus efficace que des coups de sabots ? Le tome excelle à maintenir ce suspense moral. Il ne s’agit pas de savoir si Miss B et ses compagnons agiront, mais comment.
Le dessin de Félix Delep, lui aussi, semble accompagner l’évolution de l’héroïne. Les couleurs s’assombrissent parfois, mais toujours pour mieux faire jaillir une lumière inattendue, un regard, une flamme, une marguerite. Chaque planche parait respirer avec Miss B, suivre sa montée en intensité, tout comme celle des autres personnages, que ce soient les chatons ou César, et quelle évolution !
La grande réussite de Xavier Dorison dans ce dernier opus, c’est d'utiliser la non-violence pour construire un véritable thriller. Le lecteur retient son souffle, non pas devant la violence qui s’abat, mais devant une patte qui s’abstient. Le suspense est à son comble du début à la fin. La tension vient de ce refus obstiné de céder à la solution facile de la violence. Miss B avance dans cet exercice d’équilibriste, trébuche parfois, mais ne renonce jamais à être elle-même, quitte à mettre son bien-être familial en péril.
En refermant l’album, le lecteur sera traversé par tout un tas d’émotions diverses et variées. Il ressentira à coup sûr la tristesse de ne plus pouvoir retrouver tous ces personnages plus attachants les uns que les autres, avec leurs caractères forgés par Xavier Dorison et leurs expressions magnifiées par Félix Delep, mais avec la joie aussi qu’apporte cette histoire si bien menée. L’album permettra d’imprimer en chacun le souvenir que la douceur est elle aussi une force, peut-être même la plus dangereuse pour les tyrans…
8.0




