Punk à sein

3 décembre 2018, suite à deux examens préliminaires, Magali a rendez-vous auprès d'une spécialiste pour les résultats d'une biopsie. Le couperet tombe, c'est un cancer du sein. Près de la quarantaine, sa vie bascule. Après une phase d'effondrement, qui lui remémore sa grand-mère qui a été atteinte de la même maladie, et durant laquelle un grand nombre de questions l'assaillent, la dessinatrice va devoir son premier rebond à la musique. Adolescente, ce sont les Beatles qui l'ont soutenue, et là encore la musique sera un soutien de premier ordre. Ce sont ses filles qui, pour lui remonter le moral, improvisent une danse sur la chanson London burning . À l'instar de ses proches et de nouvelles rencontres importantes faites au fil des mois, les apparitions du chanteur de Clash, Joe Strummer, deviennent un soutien de poids. Ce dernier la secoue et la pousse à se dépasser pour boire la vie et hurler : "Boobs burning !".

Après avoir raconté sans filtre son adolescence dans Nowhere girl, Magali Le Huche continue dans l'autobiographie. Au lieu de poursuivre chronologiquement là où elle s'était arrêtée dans le précédent album, l'autrice aborde une période plus récente et difficile de sa vie, afin d'évoquer à sa manière le cancer du sein. La grande force de cet album, sorti en octobre 2025, mois de sensibilisation à ce type de cancer, réside dans la façon dont l'artiste revient sur cette période.

L'authenticité et la sincérité du ton sont saisissantes et amènent les lecteurs à suivre son personnage tout au long de son combat. De plus, l'autrice évite aisément de verser dans l'apitoiement et le sentimental, en axant sur le vrai, autrement dit sur ses ressentis et leurs évolutions. Pour cela, Magali Le Huche use de beaucoup d'autodérision, d'humour et de temps décalés oscillant entre le psychédélique et la mentalité punk. C'est aussi l’occasion pour elle de questionner son corps, à la fois comme l'enveloppe constitutive d'elle-même mais aussi en tant qu'élément de genrification sociale. Cela est fait en trois étapes. Premièrement, au début de l'album avec son autopalpation, puis après l'ablation et enfin avec la reconstruction. Là encore, le ton tragi-comique est aussi efficace que sans fard. Le troisième moment fort est celui où la bédéaste se rencontre quand elle était adolescente dans l'album Nowhere girl. L'introspection tourne à la confrontation de ses deux moi, qui a permis à l'autrice une forme d'apaisement dans la vie. Ensuite, ce temps devient un élément scénaristique puissant, une bascule, dans cette bande dessinée. Enfin, un autre axe narratif de cet album tient dans la redécouverte de Clash par Magali. Cette passionnée de musique fut tellement subjuguée par la voix de Strummer qu'elle le visualise régulièrement dans son combat contre le cancer. Le chanteur devient pour elle un coach de vie et une béquille sur laquelle s'appuyer.

Le dernier point important faisant de Punk à sein un titre remarquable réside dans le dessin. L'artiste use de plusieurs techniques visuelles pour accompagner les différentes émotions qu'elle souhaite retranscrire. Dès le début, lorsqu'elle sort de la consultation où elle apprend son état, une double page la représente. Sur la première, elle est debout, sur la seconde la scène est quasi identique à ceci près que le personnage se liquéfie représentant ainsi son état moral. Visuellement, l'idée peut paraitre simple, mais l'image est tellement forte que cela se passe de mots. Le cancer, quant à lui, est représenté sous la forme d'une créature noire fantomatique qui lui colle au corps. Lors des instants de coaching avec Strummer, le trait devient plus énergique, plus dense, remplissant l'entièreté de la planche. L'album comporte de nombreux passages où l'organisation classique cède le pas à plus expérimental afin de répondre à l'ambiance évoquée.

Témoignage sans fard et véritable cri à la vie, Punk à sein est un album fort et riche en émotions. À lire !

Moyenne des chroniqueurs
7.0