Toc toc
S
on nombril et ses problèmes de santé sont des sources d’inspiration communes chez les artistes, débutants ou aguerris. Quand il s’agit de raconter, il est impératif de se renseigner et se documenter. : quoi de mieux (ou de facile) que de s’occuper de son propre cas ? La démarche est parfaitement compréhensible et sans doute aussi vieille que le langage articulé. Demander des nouvelles de son interlocuteur n’est-il pas la première chose qui vient à l’esprit lors d’une retrouvaille ou autour d’un café ? Au niveau de la création, plusieurs approches sont possibles pour rendre le récit prenant et parlant : sortir de la réalité, aller vers l’autofiction et arrondir les angles. Ou alors, c’est le cas de Lucie Morel dans Toc Toc, oser l’autobiographie sans filtre et tout mettre sur le papier. Il y a un risque puisqu’il s’agira alors d’un exemple pris parmi les milliards que nous sommes. Pourquoi plus celui-là qu’un autre ? Le pari est osé et exige une honnêteté de tous les instants pour être crédible et, avec de la chance, séduire et engendrer une forme d’identification.
Depuis toute petite Lucie souffre de crises d’angoisse, celle de perdre sa mère en particulier. Pour parer ces terreurs irrationnelles, elle s’est construite une multitude de petits rituels destinés à «éloigner» le danger et à la rassurer. Il s’agit de petites manies inoffensives et assez courantes chez les enfants, même si elles lui attirent les moqueries de ses sœurs et de ses camarades d’école. Rien de grave, surtout que celles-là ont tendance à disparaître au fil du temps. C’est ce qui est arrivé à l'adolescente au moment d’entrer au lycée. Cependant, quelques années plus tard suite à un incident banal, ces troubles obsessionnels du comportement (TOC) ont subitement réapparu, avec force. Inquiète de ces symptômes, la jeune adulte décide d'aller consulter un professionnel et débute un traitement. Bien lui en a pris, grâce aux sessions avec un psychologue, à une médication adaptée et un constant travail sur elle-même, elle arrive à être «le conducteur du bus de son existence» (dixit son docteur).
L’originalité et la force de l’album viennent de la façon dont l’autrice a mené sa narration. Organisée comme un journal intime, chaque période est vue en fonction de l’âge de l’héroïne : à sept ans, les textes sont simples, l’orthographe approximative et les «explications» à la fois naïves et innocentes. Avec les années, les récitatifs deviennent plus posés et les réflexions s’approfondissent. Une fois «grande», la situation est évidemment inversée et inclut même un certificat médical officiel. Les illustrations suivent la même route, empruntées et malhabiles (pour de faux, cela va sans dire), elles gagnent en maturité et en profondeur au fil des pages. De plus, la dessinatrice a intercalé de grandes compositions basées sur des photographies retravaillées entre les chapitres. Il en ressort une atmosphère des plus prégnantes et renforce l'impression de réel de la lecture. Réalité «réelle» ou souvenirs fantasmés ? Une ambiance entre Freaks Show (Tod Browning) et Blast (Manu Larcenet) finit même par s'installer par moments. Les œuvres de Dav Guedin et Craoman viennent également à l’esprit au fil de ce témoignage véritablement habité.
Cathartique, résilient ou thérapeutique, Toc Toc est surtout et avant tout une excellente BD remplie d’émotion, de larmes et, heureusement, de beaucoup de joie et d’amour. Lucie Morel serre les dents, ne lâche rien et offre un ouvrage total et sans concession où tout le monde se retrouvera à une page ou à une autre.
7.0


