Forbans !
B
D classiques ou décalées, illustrations, livres jeunesses, techniques mixtes : Renaud Farace et Olivier Philipponneau s’étaient fait remarquer il y a une dizaine d’années avec Détective Rollmops (The Hoochie Coochie). Cette relecture du récit à énigmes nécessitait de manipuler le volume dans tous les sens afin de débusquer le coupable. Toujours en quête de nouveaux défis graphico-logiques, ils proposent Forbans !, une histoire de pirates traditionnelle, re-imaginée façon OuBaPo.
Généreux ouvrage réalisé avec un soin extrême (papier, impression, reliure), Forbans ! tient pratiquement davantage du laboratoire ludique que de la bande dessinée classique, tout en respectant à la lettre les ingrédients inhérents à la flibuste. Nobles propriétaires d’une plantation dans les Caraïbes, une demoiselle promise à un fructueux mariage, jeune premier propre sur lui et des pirates à jambe de bois et perroquet sur l’épaule, sans oublier l’île au trésor et sa peuplade d’autochtones chafouins, n’en jetez plus ! Tout ce joli monde s’affronte à qui mieux-mieux, croise quelques monstres marins, avant de faire naufrage suite à une tempête. De l’aventure avec un grand A, dans les règles de l’art, bourrée d’échauffourées, d’abordages et de bouteilles de rhum.
Visuellement, l’ambiance détonne et ressemble plus à de l’abstraction géométrique qu'à de la peinture de marine académique. Autre détail discordant (parmi beaucoup d’autres), les boulets de canon sont syndiqués (et ont des revendications) et les mouettes ont des allures de guillemets… Cette approche entre pastiche et poésie se montre assurément plus proche de celle de Fred que de Robert Louis Stevenson ou de Victor Hubinon. Dont acte.
Déjà passablement déphasée, l’affaire se complique à la lecture des textes. En effet, ceux-ci sont bourrés de mots-valises et d’autres créations lexicales aussi surprenantes qu’amusantes. Par contre, ce néo-vocabulaire à peine digéré, une autre spécificité narrative vient s’ajouter sous la forme d’une mise en couleurs (en bichromie) audacieuse et radicale. Résultat, vous obtenez un album, certes débordant d’inventivité et de surprises, mais assez ardu à embrasser et, plus grave, à la limite de la lisibilité par moments. En résumé, la barque est trop remplie, constamment à la merci des vagues et du chavirage.
Dense, d’une richesse extraordinaire et doté d’un rythme effréné, Forbans ! a tendance à s’étouffer lui-même. Globalement, il s’agit néanmoins d’un exercice impressionnant que les amateurs d’œuvres expérimentales et d’aventures au grand large ne devraient pas laisser passer.
6.0


