Corto Maltese (Quenehen/Vivès) 3. Le jour d'avant
C
hassez le naturel, il revient toujours au galop. Plus par faiblesse sentimentale que par addiction, Corto, venu saluer une vieille connaissance à Sydney, joue les chevaliers servants pour exfiltrer une espionne chinoise de l'île de Tuvalu... Mais avec Corto, rien n'est jamais simple. D'autant que le destin (ou plutôt le scénariste !) aime brouiller les cartes et perturber ce qui ne devait être qu'une anodine balade en mer salée.
Il est toujours délicat de vouloir changer l’époque et la manière de raconter les faits et gestes d’un mythe de la bande dessinée ! Les tentatives sont nombreuses ; certaines ont été vite oubliées ; d'autres, après avoir enflammé un temps les esprits, ont su trouver leur public sans pour autant être adoubées par les gardiens du temple. Ce Corto Maltese ci appartient à cette dernière catégorie, qui, en privilégiant l’esprit plutôt que le formalisme, contribuera probablement auprès des nouvelles générations à la postérité du héros de Pratt.
Pour ce qui est de ce troisième volet, Martin Quenehen veille à ce que les grands préceptes (l'amitié, l’amour, la liberté des grands espaces...) qui font Corto demeurent, même si ce dernier adapte son art de vivre aux règles qui prévalent désormais. Les combats changent de registre et si l’idéalisme laisse place au réalisme, il y a toujours une cause à défendre pour un gentilhomme de (mauvaise) fortune ! Pour l’heure, il est question de changement climatique et de géopolitique ! Des sujets, il est vrai, bien éloignés des élans chevaleresques et ésotériques qui caractérisent l’univers du Maltais et qui poussent Martin Quenehen à en faire légèrement trop avec des rebondissements dont la succession relève de l'improbable. Pour suivre, Bastien Vivès accumule donc les effets dynamiques dans un épisode qui s'apparente plus au parcours de l'éco-combattant qu'à la nonchalante rêverie d'un indolent en marinière ! Quoi qu’il en soit, le co-créateur de Lastman cultive toujours un trait "entre gris" (peut-être plus réaliste qu'à l'accoutumée) et un "toucher" graphique si particulier qui s’apparente - à certains égard - à la recherche de la ligne la plus simple, la plus suggestive, si chère à Pratt.
Le jour d’avant ne trahit en rien Corto Maltese. Il en offre simplement une nouvelle variation, certes moins philosophique, moins introspective, mais assurément plus contemporaine… Il faut bien vivre avec son temps !
6.0
