La légende des Stryges 1. Les eaux du chaos
E
ntre 1997 et 2018, Le chant des Stryges, imaginé par Éric Corbeyran et mis en images par Richard Guérineau, a rencontré un joli succès. Structurée en trois saisons de six tomes, chacun portant un titre composé rigoureusement d’un seul mot au pluriel, aiguisé comme une lame dont l’éclat attire autant qu’il effraie (Pièges, Emprises, Révélations et autres Exécutions), cette série principale a donné naissance à six segments annexes. Parmi eux : Le maître du jeu, Le clan des chimères, Le siècle des ombres ou Les hydres d’Arès, s’inscrivant sur une période allant du XIIIe au XXXVe siècle (!). L’époque était marquée par un regain d’intérêt pour les séries TV, X-Files en tête. La création de Carter et celle de Corbeyran partageaient, a minima, une passion pour la conspiration, la manipulation (génétique mais pas seulement), la quête d’une vérité (LA vérité serait peut-être un brin présomptueuse), les mythes et les créatures étranges.
Les Eaux du chaos plonge le lecteur désireux de prolonger l’aventure aux côtés des célèbres géants noirs en Égypte en 1869. Là, Alexandre Sardin, archéologue quelque peu émoussé par les années de terrain, est confronté à ce qui restera probablement la découverte de sa carrière : sept tombeaux aux dimensions hors normes dans une chambre funéraire. La présentation de leur contenu à la communauté scientifique parisienne ne manque pas de susciter l’émoi. À la suite de l’exposé, un milliardaire propose à Sardin de financer ses recherches. L’égyptologue doute de la sincérité de ce potentiel mécène. Son nom : Sandor Weltman.
Au-delà des Stryges eux-mêmes et de la place qu’ils occupent depuis des temps immémoriaux (oser le présent plutôt que le conditionnel n’engage à rien), c’est bien par le truchement de cette vieille connaissance prussienne que l’ancrage avec les volets précédents s’opère. La saga redécolle en douceur avec, aux commandes, un chef de bord qui mérite ses galons. L’exposé est précis, didactique quand il le faut (trois superbes pages sur le savoir-faire en matière d’embaumement, une présentation des personnages-titre méthodique) ; la jointure entre les volets précédents et cette nouveauté se fait sans heurt.
Le récitatif, parfois un peu dense en raison de sa fonction descriptive de l'état de lieux et des acteurs passe allégrement grâce au trait de Nicolas Bégue (Héraults, Le Ravageur, déjà avec Corbeyran). Si le verbe, dans son rôle visant installer une dimension dramaturgique, passe bien, c'est grâce à des décors urbains précisément restitués, n'hésitant pas à s’étendre dans d’amples vignettes après avoir été extraits d'une documentation pertinemment inspirante. En complément, les plongées sont soignées et les cadrages variés lors des nombreux dialogues sont autant de qualités à porter au crédit du dessinateur.
Les Eaux du chaos (tiens, la règle du titre en un mot saute ; pire, ce « 1/2 » signifie que le plat sera servi deux fois…) marquent un retour aux affaires satisfaisant. Les anciens seront ravis de constater que Richard Guérineau participe à cette réanimation (il signe la couverture), tandis que les fans apprécieront la galerie-hommage en fin d’album, où treize dessinateurs livrent leur vision des créatures mythiques. Les plus tatillons auront relevé qu''Asphodèle, La loi des douze tables et Les hydres d’Arès bien que les ayant mis en scène ne sont pas cités comme déclinaisons de l'Univers des Stryges repris en quatrième de couverture. Disgrâce ? Peu importe. Maintenant, vite, la suite ! Suggestion pour cycle 2 survitaminé et rapidement sur les étals : "Sandor et le clan des contraptonymes".
7.0
