Flous artistiques
Flous artistiques trace le portrait d’une série d’individus formant une chaîne. Certains se connaissent, d’autres ne se sont croisés que fortuitement. Le récit s’arrête sur un destin pendant quelques dizaines de pages, puis, mine de rien, glisse vers un autre personnage. La plupart des protagonistes n’ont rien en commun, sinon un moment de doute qui les traverse. Ces hésitations portent sur des objets tantôt futiles (J’achète quelle chemise ? Je choisis quelle glace ?), tantôt graves (J’abandonne mon emploi ? Je quitte mon amant ?).
Le passage d'un protagoniste à l'autre se montre toujours fluide, tant et si bien que le lecteur réalise à peine que le héros a changé. Leurs préoccupations apparaissent souvent banales et le bédéphile s'attache peu à eux. C'est peut-être pour cela qu'il demeure si facile de s’intéresser au suivant, sans se préoccuper du sort du précédent, qui n'est d'ailleurs jamais fixé, du moins dans un premier temps. Le dernier tiers du roman graphique reprend la séquence, mais à rebours : l’auteur ferme alors les nombreuses boucles narratives pour sceller le destin de chacun.
Le projet littéraire, dans sa forme, se révèle plus stimulant que les tranches de vie, d’intérêts variables. Certes, l’auteur tend à composer une galerie de personnages représentative de la société américaine (Noirs et Blancs, hétérosexuels et homosexuels, hommes et femmes), mais la majorité appartient à la classe moyenne, et plusieurs gravitent dans le milieu des arts. Enfin, aucun ne s’affirme vraiment : tous sont ordinaires… comme quatre-vingt-dix-neuf pour cent des gens.
Le dessin, en noir et blanc, évoque le croquis. L’artiste va à l’essentiel : des figures bien caractérisées pour rester identifiables et quelques éléments de décor signifiants. La composition repose sur un découpage rigoureux : quatre cases égales par planche. Vers la fin, à mesure que les trajectoires se croisent, les vignettes doublent de taille. Les deux dernières pages, dont l’une semble être le négatif de l’autre, rassemblent tous les personnages dans une seule illustration, comme pour rappeler que l’individu fait partie d’un tout.
Un exercice de style plaisant, animé d’un souffle romanesque qui se cherche.
7.0
