Il déserte - Georges ou la vie sauvage

P ionnier de la télévision et personnalité médiatique, Georges De Caunes était aussi un peu aventurier. Cependant, en ce mitant du XXe siècle, le temps des grandes explorations terrestres était à peu près terminé et les regards se tournaient désormais vers les étoiles et la Lune, un défi à la taille d’une Nation, pas celle d’un individu. À quoi peut donc se mesurer un simple être humain ? À soi-même et aux éléments ! Dix ans auparavant, Alain Bombard avait fait les manchettes en traversant l’Atlantique en solo, sur une embarcation de fortune et dans les conditions d’un naufragé. De son côté, Georges imagine jouer à Robinson Crusoé : vivre en totale autonomie sur un îlot isolé, pendant une année entière. Homme de communication, il partagera son expérience, via la radio, avec une chronique quotidienne. Septembre 1962, après une organisation méticuleuse, il débarque en compagnie d’Eder, son fidèle chien, sur Eiao, dans l’archipel des Marquise. Il laisse derrière lui ses proches et sa famille, dont le petit Antoine, neuf ans...

Armé des archives familiales (dont un journal inédit tenu sur place) et des transcriptions des interventions radiophoniques, Antoine De Caunes propose un récit composite mêlant péripéties vécues, réactions personnelles à l’époque et des réflexions à propos de sa relation avec son père. Une grande aventure humaine ponctuée de hauts (pas trop), de (nombreux) bas et énormément de ressenti, grâce à ce gamin triste de perdre son papa pour des mois, tout étant fier de l’entendre dans le poste chaque soir. Pas mal de regret également, en effet, si George se montrait généreux et bavard à l’écran, il était des plus taiseux à la maison. Avant Eiao, il avait déjà entrepris des voyages éloignés et «abandonné» les siens pour des longues durées. Que cherchait-il vraiment ? Fuyait-il quelque chose ? Autant de questions restées sans réelles réponses.

Dans Moi René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB, Jacques Tardi peste régulièrement contre le peu d’informations laissées par son propre père. Antoine est dans la même situation avec le sien. Faute de mieux, il se retrouve obligé de répéter les mêmes mots, comme se répètent inlassablement les mêmes journées au milieu du Pacifique. La solitude, les privations et les dangers. Et, tout ça pourquoi au final ? Sans résolutions tangibles, ces échanges à sens unique tombent à plat et rares sont les vrais moments d’émotion. Sans démériter sur le fond, ce témoignage n’arrive malheureusement jamais à dépasser le stade de l’anecdote d’ordre privé.

Visuellement, Xavier Coste fait ce qu’il peut pour donner du souffle et de l’ampleur à cette expédition sur cette terre soi-disant paradisiaque qui cache, en fait, un enfer de tous les instants. Lumière aveuglante, chaleur faisant vibrer l’air et rochers tranchants, le dessinateur dépeint avec efficacité la réalité accablante endurée par ce Robinson volontaire. Les journées sont longues et les lendemains guère discernables de la veille. Tout est dit en quelques coups de pinceaux. Le découpage ouvert et la mise en scène quasiment théâtrale, tout deux parfaitement maîtrisés, renforcent encore plus l'aspect vain et absurde de cet épisode, tant chez l’exilé que de ceux demeurés en Métropole.

Sincère, mais pas abouti, Il déserte – Georges ou la vie sauvage manque le coche. Si le côté récit de voyage s’avère très réussi, il se montre nettement moins convaincant quand il s’attaque à l’intime et aux rapports purement familiaux.

Moyenne des chroniqueurs
5.5