Mauvaise fortune

S ud des États-Unis d’Amérique, 1910. Morning Bird, jeune autochtone dont la tribu a été massacrée, zone de galère en misère. De l’autre côté de la frontière, la révolution bouillonne et Adelita a bien l’intention d’y prendre part. Si Morning Bird n’est pas de la bonne «couleur», c’est le sexe d’Adelita qui fait peur, autant chez les rebelles que les autorités d’ailleurs. Au détour de leurs péripéties respectives, ces deux âmes errantes vont être appelées à faire un bout de route ensemble. Vus comme exotiques, ils intègrent une espèce de spectacle ambulant doublée d’une loterie. Un moment de répit dans leur quête pour un peu de bonheur ou une simple parenthèse dans un monde cynique et implacable ?

Western crépusculaire et fable sociale à la fois, Mauvaise fortune est un récit cinglant qui ne fait pas de prisonnier, ni de détail. Fano Loco (Jazz) met en scène deux figures classiques – l’Amérindien spolié et dépouillé par les Blancs et une femme forte, à peine un être humain, selon les codes en vigueur – dans un cadre violent, dirigé en coulisse par un capitalisme de l’ombre aussi aveugle que destructeur. Ces bases posées, c’est parti pour cent soixante pages d’une lutte sanglante et sans pitié. Les deux protagonistes principaux vont se serrer les coudes et encaisser une liste infinie de brimades. De plus, faisant fi des injustices dont ils sont accablés, ils vont se prendre en main et commencer à rendre les coups. Ce qu’ils veulent ? Vivre en paix, du respect et de l'égalité. Malheureusement, ce n’est pas comme ça que ça fonctionne à l’Ouest du Pecos (et au Sud Rio Grande). Alors, marche ou crève et profite de toutes les occasions pour avoir un peu de répit. En résumé : si ce n’est pas toi qui ramasse ce dollar qui traîne, ça sera le prochain, les traîne-misère, ce n’est pas ça qui manque.

N&B agrémenté d’une bichromie en beige, un pseudo-expressionnisme de rigueur et une hargne visible dans les regards et les attitudes, le trait du dessinateur est à l’image du scénario : direct et assuré. Très bien construits, la mise en page et le découpage sont à relever. Loco happe le lecteur dès la première planche et ne le lâche plus jusqu’à la conclusion de cette course en avant désespérée. Également remarquables, les angles de vue audacieux, l'excellente maîtrise des ombres et une multitude de petits clins d’œil discrets parfaitement intégrés à la trame visuelle apportent une cohérence et une identité forte à ce roman noir et généreux.

Comme tous les ouvrages teintés de militantisme, Mauvaise fortune manque parfois un peu de nuance. D’un autre côté, les différents sujets (racisme, exploitation, etc.) soulevés par l’histoire ne sauraient souffrir d’aucune excuse. Au final, l’énergie et la volonté inoxydable de ce duo de héros par défaut remportent les suffrages et rendent la lecture aussi haletante que touchante.

Moyenne des chroniqueurs
6.0