La tête de mort venue de Suède

D ans la pénombre des réserves du Muséum national d’Histoire naturelle, une conscience s’éveille, celle de René Descartes, chantre de la Méthode, apôtre de la Raison. Mais du philosophe, il ne subsiste qu’un crâne perdu au milieu d’un ossuaire qui, chaque soir, disserte sur sa condition.

Comment l’un des plus grands penseurs de notre histoire peut-il finir sur une étagère, réduit à l’état de relique ? Daria Schmitt s’empare de cette anecdote pour le moins rocambolesque (le destin chaotique des os de Descartes, volés, dispersés… et multipliés) pour nous en délivrer une digression poétique et fantastique.

Pour commencer, parlons de l’objet (l’album… pas le crâne !) : une édition limitée en noir et blanc sur un papier coquille d’œuf ! Pour l'heure, la déception pointe, car malgré le souci de qualité, le format est pour le moins étriqué au regard de la finesse, de l'élégance et de la beauté des planches originales en 30 x 45 dont nous gratifie Daria Schmitt… sans parler de ce noir qui manque quelque peu de profondeur. La qualité comme la richesse du trait ne trouvent pas ici un écrin à leur démesure. Mais le fond emporte tout avec un récit qui oscille entre enquête historique et conte métaphysique. Ainsi, pour raconter la vie du mathématicien tourangeau et les bases de sa pensée, le crâne du grand homme dialogue avec ses voisins de salle : le squelette d'une baleine bleue, un antique dodo et les fantômes calcifiés de ceux qui peuplent les arcanes de la galerie d’anatomie comparée. Sans se départir d’un humour et d’une scrupuleuse analyse de l’œuvre du natif de La Haye, Daria Schmitt réussit un véritable tour de force : dépasser nos a priori sur l’herméticité du cartésianisme et nous faire découvrir l’homme. Le lecteur sourit, se prend au jeu du doute : là où Le Discours de la Méthode a souvent rebuté, un crâne bavard nous en fait une lecture presque familière.

La Tête de mort venue de Suède n’est pas seulement un roman graphique érudit et somptueusement dessiné, c’est une délicieuse fable métaphysique, qui donne envie de renouer avec l’esprit critique, à une époque où il s’efface trop souvent devant le dogmatisme du « bon sens ». Je lis (une BD !) donc je suis !

Moyenne des chroniqueurs
8.0